Le projet de Loi organique sur le statut de la Magistrature : Le Festival des amendements
Statut des Magistrats 23/06/2023

UNITÉ MAGISTRATS a été entendu le 11 mai 2023 sur les projets de loi d’orientation et de programmation pour la justice 2023-2027 et de loi organique réformant le statut des magistrats au Sénat et a formulé des observations devant la commission des lois de l’Assemblée Nationale.
Nous regrettons que ces projets de loi d’une importance significative, fassent l’objet d’une procédure législative accélérée depuis sa présentation en Conseil des Ministres le 3 mai 2023.
La multiplicité des amendements de fond qui apportent des modifications substantielles sur le statut aurait mérité un travail en amont plus abouti et du temps pour débattre sur des enjeux majeurs.
Sur les dispositions non modifiées du projet de loi organique réformant le statut de la magistrature, nous restons sur nos analyses, que vous retrouverez dans ce précédent communiqué https://unite-magistrats.org/publications/projet-de-reforme-de-la-magistrature-des-avancees-et-des-inquietudes.
On peut se réjouir de retrouver certaines dispositions que notre syndicat porte depuis longtemps : Distinction du grade et de l’emploi, création d’un concours professionnel, mise en place d’une évaluation pour les chefs de cour et de juridiction, suppression des Grands Électeurs pour les élections au CSM et à la CAV et mode de scrutin national sur liste…. Nous regrettons que ces mesures restent encore trop timides, ou que les modalités d’application atténuent leur intérêt et leur impact.
- Ainsi la distinction du grade et de l’emploi n’empêchera pas le troisième grade nouvellement créé d’être contingenté, avec des modalités d’accès contestables, de sorte que la véritable avancée attendue ne semble pas encore d’actualité.
- Sur la création du concours professionnel, un flou persiste sur son contenu, et la composition du jury. De plus, le projet de loi organique a pour objet de généraliser dans le statut de la magistrature les Magistrats à Titre Temporaire, prévoyant en outre qu’ils puissent exercer les fonctions de substitut du Procureur, ainsi que les « Magistrats en service extraordinaire », émanant d’autres corps de la fonction publique et astreints à un stage de six mois.
Avant d’étendre la compétence des Magistrats à titre temporaire et en service extraordinaire, il aurait été nécessaire d’avoir une évaluation sur les besoins et sur la qualité de leur activité, compte tenu de leur formation courte.
L’objectif de recruter rapidement de nombreux nouveaux magistrats ne doit pas nous faire perdre de vue l’exigence requise pour de telles fonctions. Notre syndicat restera vigilant, plus que jamais, sur ce point.
- UNITÉ MAGISTRATS a soutenu le projet d’une équipe autour du magistrat avec la création de la fonction d’« attaché de justice » ayant la qualité de fonctionnaire pour aider le magistrat dans ses tâches. Nous sommes opposés à la proposition de délégation de signature et à la présence aux délibérés, ce qui entraînerait une confusion des rôles avec le magistrat. Notre syndicat restera attentif à ce que la déclinaison des tâches confiées à ces nouveaux « attachés de justice » n’empiète pas sur celles des magistrats et des greffiers. Le projet de loi prévoyant par ailleurs un volet contractuel pour une partie des attachés de justice, ce volet devrait rester marginal, afin d’éviter la précarisation de ces fonctions.
L’article 8 du projet de Loi organique : une responsabilité « tout azimut », et la nécessité d'une clarification
Nous avions alerté dans notre précédent communiqué sur les dangers d’un élargissement déraisonnable des conditions de recevabilité des plaintes à l’encontre de magistrats à la Commission d’admission des requêtes (CAR) émanant des justiciables, facteurs d’incertitude et de déstabilisation pour le corps judiciaire.
Notre syndicat, afin de pallier le risque d’arbitraire et d’imprévisibilité en matière disciplinaire, lié à l’absence de définition claire des fautes pouvant être reprochées aux magistrats, préconise la création d’un Code disciplinaire.
Cette absence de définition dans le projet a entraîné un amendement sénatorial contre-productif à l’article 8 Aperçu de l'amendement (senat.fr), qui voulant préciser la définition de la faute disciplinaire, l’élargit dangereusement avec des notions « fourre-tout », susceptibles d’interprétations diverses, telles « l’intégrité, l’honneur, le respect et l’attention portée à autrui, la réserve et la discrétion… ».
A défaut de Code disciplinaire, nous préconisions a minima une charte de déontologie, comme ce qui existe déjà pour les magistrats de l’ordre administratif, ce qui aurait pour mérite d’aligner nos statuts sur le disciplinaire. L’amendement adopté en ce sens par le Sénat Aperçu de l'amendement (senat.fr) est donc une avancée intéressante. Une charte permettrait un débat de qualité sur le contenu exact des obligations déontologiques des magistrats, et de pouvoir déterminer avec précision ce qu’est une faute disciplinaire.
L’amendement sur le principe d’impartialité : une préoccupation légitime mais une réponse inadaptée
Un débat apparaît d’autant plus nécessaire qu’un autre amendement sénatorial propose que la liberté syndicale s’exerce « dans le respect du principe d’impartialité qui s’impose aux membres du corps judiciaire ».
Cet amendement intervient dans un contexte de remise en cause récurrente de l’activité syndicale des magistrats.
Si le principe d’impartialité s’impose bien évidemment à tout magistrat de l’ordre judiciaire, ajouter cette mention à l’article 10-1 de la loi organique relatif au droit syndical des magistrats, exprime dans le contexte actuel une défiance de la part du législateur à l’égard des magistrats, particulièrement ceux qui exercent un mandat syndical, soupçonnés pour certains de « politisation ».
UNITÉ MAGISTRATS a toujours clairement exprimé sa volonté de ne prendre aucune position politique et de rester dans le champs syndical qui légitime son action. Il ne faudrait pas que le syndicalisme judiciaire soit impacté dans son expression et son action par des mesures de rétorsion générale pour des cas particuliers.
Il est regrettable que la modalité de l’amendement ait été ainsi utilisée dans le cadre d’une procédure accélérée et sans qu’aucune concertation ni débat préalable n’ait été possible.
Pour rappel, le Conseil Supérieur de la Magistrature, dans une décision disciplinaire en date du 16 janvier 2023, précisait les contours de la liberté d’expression s’appliquant aux magistrats : «S’ils peuvent faire connaître leur opinion, ils doivent toutefois s’exprimer de façon mesurée afin de ne pas compromettre l’image d’impartialité et de neutralité indispensable à la confiance du public, ni porter atteinte au crédit et à l’image de l’institution judiciaire et des juges, ni donner de la justice une image dégradée ou partisane. Cette obligation de réserve ne saurait servir à réduire un magistrat au silence ou au conformisme. »
A l’occasion d’une jurisprudence très récente (Arrêt du 6 juin 2023) SARISU PEHLİVAN c. TÜRKİYE (coe.int), la Cour Européenne des Droits de l’Homme a rappelé, d’une part, que la requérante était tenue de respecter le devoir de réserve et de retenue inhérent à sa fonction de magistrate et, d’autre part, qu’elle assumait, en tant que secrétaire générale d’un syndicat de magistrats, un rôle d’acteur de la société civile. Ainsi, l’intéressée avait le droit et même le devoir de donner son avis sur des réformes constitutionnelles susceptibles d’avoir une incidence sur la magistrature et sur l’indépendance de la justice.
Si la liberté d’expression syndicale n’est pas absolue, elle doit donc s’exercer dans un champs de compétence qui lui est réservé.
Enfin, il convient de rappeler l’avis du CCJE (Conseil Consultatif des Juges Européens) sur la Liberté d’expression des juges du 2 décembre 2022 :
(…) « Les juges ont le droit de faire des commentaires sur des questions qui concernent les droits fondamentaux de l’homme, l’état de droit, les questions de nomination ou de promotion des juges et le bon fonctionnement de l’administration de la justice, y compris l’indépendance du pouvoir judiciaire et la séparation des pouvoirs. Si la question affecte directement le fonctionnement des tribunaux, les juges devraient également être libres de commenter des sujets politiquement controversés, y compris les propositions législatives ou la politique gouvernementale. Cela découle du fait que le public a un intérêt légitime à être informé de ces questions, car elles sont très importantes dans une société démocratique. »
Les différents avis et jurisprudences illustrent bien que l’articulation entre la liberté d’expression inhérente à l’exercice effectif d’un mandat syndical, et l’impartialité qui s’impose par principe à tout magistrat, relève d’une réflexion complexe qui mérite un autre traitement que celui que tente d’apporter ainsi le Sénat sur un sujet aussi important.
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