BUDGET JUSTICE 2025 : DES COUPES BUDGETAIRES ET UN MANQUE DE VISION STRATEGIQUE PERSISTANT.
COMMUNIQUE UNITE MAGISTRATS - BUDGET JUSTICE 2025 : DES COUPES BUDGETAIRES ET UN MANQUE DE VISION STRATEGIQUE PERSISTANT.
Le 18 octobre 2024, Unité Magistrats SNM-FO a été entendu par la Commission des Lois de l’Assemblée Nationale sur le budget justice du Projet de loi de finances 2025.
Le budget de la justice pour 2025 s’inscrit dans le « projet de loi d’orientation et de programmation de la justice pour 2023-2027 », qui prévoyait chaque année une augmentation substantielle et historique. Ainsi, le dernier rapport de la CEPEJ relevait pour la France une augmentation de 12% pour le budget de l'ensemble du système de justice entre 2020 et 2022.
Cependant, après un premier « rabot budgétaire » décidé par décret au mois de février 2024 amputant déjà le budget 2024 de 328 millions d’euros en crédits de paiement, le budget justice se voit à nouveau réduit de près de 500 millions d’euros, soit un montant global de 10,24 milliards d’euros pour 2025 au lieu des 10,7 milliards initialement prévus.
Il convient de rappeler que les augmentations décidées par la loi de programmation ne relevaient nullement de mesures de faveur, mais d’un rattrapage bien tardif pour remédier à l’état de « faillite » et de « délabrement avancé » de l’institution judiciaire, selon le rapport final des Etats généraux de la Justice.
Or, force est de constater qu’en dépit des efforts budgétaires de ces dernières années, la situation ne s’est guère améliorée significativement non seulement au regard des chiffres du récent rapport CEPEJ mais aussi de certains indicateurs de performance qui résultent du PLF 2025. En effet, les stocks et les délais de traitement pour certains contentieux ne baissent pas voire augmentent, tandis que la charge de travail impartie aux magistrats ne devrait cesser de s’accroître d’après les objectifs fixés par le législateur jusqu’à 2027 !
Au moment même où ces annonces décevantes étaient faites, le dernier rapport de la CEPEJ publiait le 16 octobre 2024 la réalité de l’incurie persistante de la justice de notre pays : l’Europe[1] compte en moyenne 22 juges et 12 procureurs pour 100 000 habitants, et la France ne comptabilise que 11,3 juges et 3 Procureurs pour 100 000 habitants, un triste record qui nous classe en queue de peloton[2].
Selon le même rapport, la France tient aussi le record d’affaires classées pour auteur non identifiés : 75 %, contre une médiane européenne à 38 %[3]. Les choix budgétaires semblent donc impacter en grande partie le traitement de la délinquance et l’efficacité de notre justice pénale.
Cet état de pénurie se confirme dans un contexte d’augmentation des violences et de la criminalité, où les attentes de nos concitoyens n’ont jamais été aussi fortes à l’égard de notre institution judiciaire, garante de paix sociale dans un contexte de crise.
Préserver la justice dans un tel contexte relève d’un choix politique qui se traduit concrètement dans l’analyse d’un budget et des choix opérés.
Or, ce nouveau « rabot » risque d’impacter directement nos conditions de travail puisqu’il va porter notamment sur l’immobilier mais aussi sur l’équipe autour du magistrat : ainsi nombre de contrats d’assistants de justice ne vont pas être renouvelés, et aucun recrutement d’attaché de justice n’est prévu en 2025 ! Quant à la contractualisation choisie par le Ministère pour recruter rapidement, elle montre ses faiblesses et peut entraîner à terme des suppressions de poste essentiels, comme c’est le cas à la Protection Judiciaire de la Jeunesse.
En parallèle, notre Syndicat relève une absence de maîtrise de certaines dépenses excessives : la Cour des comptes dans un rapport datant du 13 octobre 2023 formulait déjà 10 recommandations pour rationaliser les coûts excessifs de l’Aide Juridictionnelle[4] ; selon le rapport de la CEPEJ « L'augmentation significative du budget de l'aide judiciaire place la France bien au-dessus de la médiane européenne. »[5] . Il conviendrait aussi de s’intéresser aux causes de la hausse significative des frais d’interprétariat-traduction[6].
Par ailleurs Unité Magistrats souligne, comme les années précédentes, une absence de vision stratégique du PLF ; le législateur impose par exemple l’objectif de développer de plus en plus les alternatives aux poursuites et les peines alternatives à l’emprisonnement. Or, cet objectif ne repose sur aucune analyse relative à la « réussite » de ces mesures et ce, alors que d’importants crédits y sont affectés. Il n’existe de plus aucun indicateur relatif au « taux d’exécution des peines d’amendes » qui sont pourtant les peines les plus prononcées.
Le PLF relève également pour la Cour de cassation que « Les dossiers de nature complexe, voire très complexe, sont de plus en plus nombreux » ce qui impacte la charge de travail en termes d’ETPT et représente donc un coût. A cet égard, notre Syndicat soutient que la norme coûte des milliards et que la simplification du droit et des procédures doit être l‘enjeu premier pour réduire à la fois les coûts et les délais et permettre des économies substantielles[7].
Notre syndicat se réjouit d’entendre le Garde des Sceaux évoquer la nécessité d’une réforme structurelle de notre institution judiciaire[8], que nous réclamons depuis des années.
Cette réforme nécessiterait enfin l’élaboration d’une véritable stratégie des ressources humaines et de l’organisation du travail tout comme un changement radical de vision pour sortir d’une approche purement comptable et chiffrée, comme nous le rappelions dans un précédent communiqué[9]. Ainsi il est emblématique que les indicateurs figurant sous l’objectif « Rendre une justice de qualité » ne soient que quantitatifs, ne distinguant pas la qualité de la quantité.
Unité Magistrats appelle à un audit budgétaire, pour déterminer précisément les besoins de la justice, identifier des sources de recettes et mettre un terme aux dépenses inutiles.
[1] Le rapport de la CEPEJ (Commission Européenne pour l’efficacité de la justice) porte sur 44 pays membres du Conseil de l’Europe
2 Non seulement les parquetiers en France sont les moins nombreux en Europe mais ils cumulent les records puisqu’il leur appartient de traiter 6,4 affaires pour 100 habitants là où un Procureur traite en moyenne en Europe 2,3 affaires pour le même nombre d’habitants.
3 Page 68 du Rapport de la CEPEJ, Fiche Pays « France ».
4 Selon ce rapport, le budget de l’Aide Juridictionnelle a doublé en 10 ans, atteignant 630 Millions en 2022, en raison notamment de l’augmentation du nombre de procédures y ouvrant droit.
5 Page 66 du rapport de la CEPEJ, Fiche pays France.
6 + 21 % pour ces frais dans un contexte d’augmentation des frais de justice par affaire pénale -cf p.46 du PLF
7 Voir à ce sujet les ouvrages « Les normes à l’assaut de la démocratie » de Jean-Denis COMBREXELLE et « Le Prix de l’insécurité » de Christophe EOCHE-DUVAL.
8 Emission C à vous du 16 octobre 2024.
9 Communiqué du 16 novembre 2022 : « Derrière les chiffres, une vision technocratique de la justice ».