UNE CHARTE DE DEONTOLOGIE POUR LES MAGISTRATS: L'OCCASION D'UNE SALUTAIRE CLARIFICATION ?
UNE CHARTE DE DEONTOLOGIE POUR LES MAGISTRATS: L'OCCASION D'UNE SALUTAIRE CLARIFICATION ?
UNITE MAGISTRATS a été entendu le 11 juin 2024 par le Conseil Supérieur de la Magistrature dans le cadre de l’élaboration d’une Charte de déontologie des magistrats judiciaires, votée lors de la loi organique du 20 novembre 2023.
Notre syndicat a porté lors des discussions sur la réforme statutaire, un projet ambitieux, avec la création d’un Code disciplinaire afin de garantir à la fois une sécurité juridique aux magistrats et une protection contre l’arbitraire. Ce Code aurait pu définir de manière précise les contours de la faute disciplinaire et prévoir une procédure impartiale et contradictoire.
Cette option n’ayant pas été retenue par le gouvernement, nous proposions, à défaut, l’adoption d’une charte de déontologie sur le modèle de l’ordre administratif, adoptée depuis 2011 et révisée en 2017 pour répondre aux questions nouvelles de la société et des évolutions législatives. C’est le choix retenu et voté par le Sénat qui a confié au CSM son élaboration avec notamment la consultation des organisations syndicales.
Si une Charte n’est pas aussi contraignante qu’un Code de déontologie, elle revêt cependant un caractère plus solennel qu’un simple recueil des obligations déontologiques et n’est pas dépourvue de normativité, conformément à la jurisprudence du Conseil d’Etat relative au « droit souple ».[1]
L’enjeu est donc d’importance. Son élaboration doit répondre à un double objectif de clarification et de sécurité juridique pour les magistrats. Il s’agit de mettre un terme à un certain arbitraire tant dans le déclenchement de poursuites disciplinaires que dans les sanctions pouvant être prononcées par le Conseil Supérieur de la Magistrature. A cet égard un colloque organisé à la Cour de cassation sur le thème « indépendance et responsabilité des magistrats » avait déjà mis en exergue en 2021 cette problématique d’imprévisibilité et d’insécurité juridique de notre système disciplinaire.
Lors de notre audition devant le Conseil Supérieur de la Magistrature, nous avons insisté sur la nécessité de clarifier les différentes « obligations déontologiques » des magistrats. En effet, si ceux-ci ont généralement bien connaissance des grands principes déontologiques qui s’imposent à eux (indépendance, impartialité, intégrité, loyauté, conscience professionnelle, dignité, respect et attention portés à autrui, réserve et discrétion) force est de constater que dans la pratique, la portée et les limites de ces obligations ne sont pas clairement identifiées.
Dans cette perspective, Unité Magistrats a proposé aux membres du CSM comme modèle la charte de déontologie de la juridiction administrative. En effet, cette charte précise bien davantage les contours et les implications concrètes des principes s’imposant aux magistrats, qu’elle détaille tout en donnant des illustrations et des exemples pertinents, ainsi que des « bonnes pratiques » et des « recommandations » visant à aider le magistrat à adopter le comportement attendu et ainsi à éviter d’éventuelles fautes déontologiques.
En la matière, la précision est en effet gage de prévention, et ce tant au bénéfice du magistrat, que du justiciable. Elle garantit, par ailleurs, la qualité de l’institution judiciaire.
Nous avons particulièrement insisté sur la nécessité de préciser la portée de certaines règles comme celles issues de l’article 10 de l’ordonnance statutaire selon laquelle est interdite au corps judiciaire « toute démonstration de nature politique incompatible avec la réserve que leur imposent leurs fonctions » ou selon laquelle « est également interdite toute action concertée de nature à arrêter ou entraver le fonctionnement des juridictions ». Certaines notions tel que le manquement au devoir de délicatesse ou la conscience professionnelle mériteraient aussi d’être précisées.
Nous avons enfin attiré l’attention des membres du Conseil Supérieur de la Magistrature sur des problématiques émergentes en lien avec l’utilisation des réseaux sociaux ou encore l’instrumentalisation des media pour jeter l’opprobre sur des magistrats désignés nommément.
De même, des clarifications seraient bienvenues pour garantir l’indépendance et l’impartialité des magistrats notamment ceux passant de postes « politiques » au gouvernement et revenant en juridictions. A cet égard, la Charte de déontologie des magistrats administratifs a élaboré d’intéressantes « recommandations »[2].
Unité Magistrats continuera à collaborer activement à l’élaboration de la charte de la déontologie et sera entendu par le collège de déontologie des magistrats judiciaires le 25 juin prochain.
[1] Arrêt GISTI, Conseil d'État, Section, 12/06/2020, 418142
[2] Notamment la recommandation n°1-2012 du 4 juin 2012 relative aux magistrats retrouvant une affectation en juridiction après avoir fait partie d’un cabinet ministériel.