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Réforme de la PJ : Une réforme à contre temps et à contresens ?

Flash info 14/10/2022

Réforme de la PJ : Une réforme à contre temps et à contresens ? - Syndicat Unité Magistrats SNM FO
  • A contre temps…

Le syndicat UNITÉ MAGISTRATS a été entendu à l’Assemblée nationale ce jeudi 13 octobre dans le cadre d’une mission d’information pour évoquer l’impact de la réforme de la Police Judiciaire sur la filière des investigations. Cette réforme, dans les cartons depuis plusieurs mois résulte en partie, du dernier livre blanc sur la sécurité intérieure. Elle interroge quant à la méthode utilisée, aux objectifs affichés et aux conséquences à terme sur la qualité ou même la survie des enquêtes complexes.

Si cette réforme concerne en premier lieu le ministère de l’Intérieur, elle impacte directement les acteurs de la justice du parquet et de l’instruction quant à l’organisation des saisines, la direction d’enquête, les moyens humains et matériels affectés, la sécurisation du secret des enquêtes et l’indépendance de la justice.

En préalable, notre syndicat continuera à dénoncer une fois de plus la méthode défaillante utilisée. Cette réforme est l’exacte démonstration s’il en fallait encore une, de l’absence de concertation réelle entre une administration et ses agents tant par la violence des process que par le déficit de pédagogie et de clarté des objectifs affichés. Elle illustre également l’impact profond que peut avoir une réorganisation du travail et des ressources humaines sur la qualité de nos missions. Enfin comme nous l’avions sollicité, les États Généraux de la justice ne devaient se faire qu’avec la présence des forces de sécurité pour aborder les questions transversales aux ministères de l’Intérieur et de la Justice.

Cette absence de concertation entre nos deux ministères et de vision commune sur certains sujets s’avère non seulement contreproductive mais aussi source de conflits. Ironie du sort, c’est au nom de l’efficacité que cette réforme est mise en avant par le ministère de l’Intérieur alors qu’elle a été conçue sans réelle concertation avec le ministère de la Justice. Bref pour lutter contre le travail en silo rien de mieux que de réformer en silo. Car c’est bien là que le bât blesse, le ministère de la Justice semble avoir été bien tenu à l’écart des réflexions et lorsque nous avons interpellé le Garde des Sceaux en septembre dernier sur cette réforme, il nous a été répondu que des points de vigilance étaient à discuter…. Mais de toutes parts, sans attendre ces points de vigilance, les acteurs de terrain inquiets à juste titre du flou de la réforme et de l’absence de position claire ont pris la parole (Procureur Général, Cour de cassation, Afmi, les conférences et procureur de Paris et les syndicats). Désormais les rassemblements s’organisent et les sanctions commencent à tomber….

Un bel exemple de dialogue social rénové, constructif et bienveillant, à l’écoute des acteurs de terrain !!!

  • A contresens…

La PJ a sans doute besoin d’une réforme claire et ambitieuse. De quoi souffre aujourd’hui la filière de l’investigation si ce n’est d’un déficit de vocation, d’attractivité en raison des conditions de travail, des sous-effectifs mais aussi de la complexité de la procédure pénale ? Or, la réforme proposée ne répond pas à ces enjeux. En revanche, elle semble répondre à d’autres objectifs qui sont ceux de la gestion de la pénurie par la déspécialisation et la concentration des effectifs, de la recherche d’impératifs de résultats visibles ou de maintien de l’ordre. Toutes les enquêtes complexes et longues touchant principalement à la criminalité organisée et financière seront impactées au bénéfice du tout-venant priorité du politique Et les inquiétudes sont donc plus que légitimes. Il est à craindre que cette réforme n’aggrave la crise des vocations et ne tarisse la filière d’excellence actuelle.

A contresens également par la volonté de départementaliser un secteur dont tout le monde s’accorde pour reconnaitre que l’échelon zonal est le meilleur pour faire face à la criminalité qui est mouvante et complexe. Enfin, la réforme ne touchera pas la PJ parisienne qui elle est déjà rattachée à la Préfecture de Police sous l’autorité non pas d’un simple préfet mais d’un préfet de police dirigé par un grand policier qui connait les contraintes et les enjeux de la criminalité. Il aurait fallu à contrario sanctuariser les missions spécifiques de la PJ (niveau 3) au lieu de les dissoudre dans une seule direction à la merci des enjeux d’ordre public.

On peut légitimement s’interroger sur la manière de concevoir des réformes si éloignées des besoins du terrain et des objectifs pour renforcer la lutte contre la criminalité organisée. En mars 2022, une commission d’enquête du Sénat sur « l’influence croissante des cabinets de conseils privés sur les politiques publiques » donne peut-être un éclairage sur la manière de réformer. Les cabinets de conseils éloignés de la culture de l’administration, des enjeux régaliens et des contraintes des métiers répliquent des schémas d’organisation et des éléments de langage bien connus sur les thèmes de la rationalisation, la  transversalité, l’optimisation des effectifs et l’interchangeabilité des emplois…A cet égard, le ministère de l’Intérieur est l’un des ministères qui a fait le plus appel en 2021 à ces cabinets pour la somme de 62,9 millions d’euros et dont 21,4 millions d’euros uniquement en dépense de conseil en stratégie et organisation.

  • La coquille vide de l’article 12-1 du CPP

La réforme aura également pour effet immédiat de vider de son contenu l’article 12-1 du CPP. Sur le papier, le Procureur de la République et le Juge d’instruction, conserveront le libre choix du service enquêteur. Dans la réalité, les magistrats perdront le contrôle des procédures dont le traitement dépendra du bon vouloir du DDPN qui aura toute latitude pour leur donner un ordre de priorité à sa convenance ou à celle d’un ministre de l’Intérieur en mal de communication électoraliste.

Les effectifs des PJ pourront ainsi, à tout instant, être distraits de leurs investigations longues et complexes pour être mobilisés dans des « opérations coup de poing » à l’efficacité douteuse mais aux retombées médiatiques immédiatement garanties.

Pire encore, rien n’interdira au nouveau Directeur départemental de la police Nationale (DDPN) d’affecter ces mêmes policiers à l’apurement de stocks pour répondre à une soudaine lubie statistique du ministre du moment.

Mais surtout, il faudrait être bien naïf pour ne pas penser que les amis politiques du pouvoir en place ne pourraient bénéficier d’un « traitement de faveur » et que les procédures les mettant en cause ne prendront pas, par l’emploi de tous les artifices bureaucratiques imaginables, les chemins de l’enlisement. Le DDPN placé sous l’autorité directe du préfet, n’aura aucun moyen de s’opposer à une telle dérive dont il deviendra volontairement ou non, la courroie de transmission.

Le ministre de la Justice n’ayant plus depuis 2013, la possibilité de donner des instructions dans les affaires individuelles, son collègue de l’Intérieur y pourvoira en ses lieu et place… au nom de la solidarité gouvernementale.

  • Que faire ?

Au-delà des soutiens et des rassemblements auxquels notre syndicat appelle tous les magistrats désireux de participer, en rejoignant la mobilisation du 17 octobre devant les palais de Justice entre 12h et 14h, il est plus que temps d’envisager une refondation complète de la filière investigation.

Cette refondation passera par :

  • la réécriture complète du code de procédure pénale
  • une gestion professionnalisée et attractive des ressources humaines des magistrats pénalistes spécialisés
  • l’élaboration d’une doctrine d’enquête claire et précise étayée par une approche criminologique scientifique des phénomènes criminels
  • le rattachement au ministère de la Justice de la police judiciaire dans sa totalité et prioritairement les offices centraux à l’instar des systèmes américain et italien

C’est bien à une rupture et à une réforme d’ampleur que notre syndicat appelle permettant ainsi de sanctuariser les compétences et les missions de la police judiciaire, de consolider le secret des enquêtes, de sécuriser les moyens et de permettre une véritable politique pénale cohérente et efficace contre la criminalité organisée.

 

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