NARCOTRAFIC: " UN NECESSAIRE SURSAUT ? "
Le 5 mars 2024, plusieurs magistrats entendus par la commission d’enquête du Sénat sur le narcotrafic, exprimaient leur crainte de « perdre la guerre contre les trafiquants » évoquant une « mexicanisation de la situation » et une détention problématique qui ne met pas fin aux activités des têtes de réseau, qui commanditent des assassinats.
Le 14 mai 2024, jour même de la publication du rapport de la commission d’enquête du Sénat sur le narcotrafic[1], un tragique évènement venait malheureusement confirmer les alertes exprimées par nos collègues : des criminels s’attaquaient à deux véhicules de l’administration pénitentiaire qui assuraient l’extraction d’un détenu, tiraient à l’arme de guerre dans leur direction, tuant deux agents pénitentiaires et blessant grièvement trois autres. Les malfaiteurs prenaient ensuite la fuite avec le détenu, connu pour des faits de trafic de stupéfiants et de tentative d’homicide.
Unité Magistrats exprime toutes ses condoléances aux familles des victimes, fonctionnaires de l’administration pénitentiaires, décédés dans l’exercice de leur mission.
Unité Magistrats constate à l’instar de la commission sénatoriale que l’extrême violence dont font preuve les groupements de criminalité organisée n’a plus de limites.
La synthèse du rapport du Sénat relève en effet : « Alors que les procédés utilisés par les cartels sud-américains et mexicains étaient jusqu’ici inconnus en Europe, l’exemple de la « mocro maffia », ce groupe néerlando-marocain responsable de l’assassinat d’un célèbre journaliste néérlandais et d’un avocat, montre que ces organisations, même en Europe, n’hésitent plus à défier l’Etat. »
L’heure n’est plus à l’angélisme ni à la banalisation de ce type de criminalité qui a de plus en plus recours à une extrême violence et à la corruption, phénomène mis en exergue dans le rapport sénatorial. Cette situation inquiétante menace les fondements de notre Etat de droit.
Dans le cadre de la commission d’enquête du Sénat et de la mission d’information de la commission des Lois de l’Assemblée Nationale « visant à évaluer l’efficacité de la politique de lutte contre les trafics de stupéfiants »[2], Unité Magistrats avait émis des propositions fortes pour renforcer la lutte contre la criminalité organisée et notamment le narcotrafic. Certaines d’entre elles ont été reprises dans les recommandations de la commission d’enquête sénatoriale[3] : favoriser la judiciarisation du renseignement, prioriser la lutte contre la corruption et contre le blanchiment, adapter la procédure pénale à hauteur des enjeux. Pour cela, notre syndicat avait préconisé de faciliter le recours aux techniques spéciales d’enquête, renforcer le statut du repenti, mieux encadrer le régime des nullités et systématiser les enquêtes patrimoniales, ce qui suppose un renforcement significatif des moyens.
Unité Magistrats reste réservé sur la proposition de création d’un Parquet national antistupéfiants, compte tenu de la mise en place récente de la JUNALCO, créée en 2020, dont la vocation est de s’attaquer au sommet du spectre de la criminalité organisée, y compris sur un plan international, et ceci en complément des JIRS.
Enfin, notre syndicat déplore l’affaiblissement de la Police Judiciaire résultant de la réforme de l’organisation de la Police nationale, à laquelle il s’était opposé, à l’heure où l’ampleur prise par la criminalité organisée nécessite au contraire un renforcement urgent de celle-ci.
[1] https://www.senat.fr/notice-rapport/2023/r23-588-1-notice.html
[2] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/organes/commissions-permanentes/lois/missions-d-information-de-la-commission-des-lois/efficacite-lutte-contre-trafics-stupefiants
[3] https://www.senat.fr/rap/r23-588-1/r23-588-174.html#toc1965