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Journée de réflexion sur la surpopulation carcérale : rôle et place du juge judiciaire

Flash info 20/10/2022

Journée de réflexion sur la surpopulation carcérale : rôle et place du juge judiciaire - Syndicat Unité Magistrats SNM FO

UNITÉ MAGISTRATS a participé le 19 octobre 2022 à la journée de réflexion sur la surpopulation carcérale organisée sous l’égide de Mme SIMONNOT, Contrôleure Générale des Lieux de Privation de Liberté.

Si l’on effectuait un sondage sur l’état des prisons françaises, trois mots viendraient immédiatement à l’esprit du public : vétusté, insalubrité, surpopulation.

Cette image négative est loin d’être caricaturale même si elle est à nuancer localement.

A titre d’exemple, hier matin, au sein de la Maison d'Arrêt de Brest, le taux d'occupation était dans le quartier majeur hommes de 181 % avec un effectif de 385 hommes pour 212 places, entraînant l'installation de 47 matelas au sol. Sur un plan national, il y avait au 1er juillet 2022, 72 067 détenus, amenant à une densité carcérale moyenne dans les maisons d’arrêt de 140 %. Le nombre de matelas au sol en France était à cette date de 18721.

Rien d’étonnant, dès lors, que la France ait été condamnée le 30 janvier 2020 par la CEDH sur le fondement de l’Article 3 la Convention Européenne des droits de l’homme aux termes duquel « Nul ne peut être soumis à des traitements inhumains ou dégradants ».

Cette surpopulation carcérale est structurelle. Elle impacte l’ensemble de la vie du détenu, majorant le risque que celui-ci soit exposé à des violences, minorant ses possibilités de réinsertion, entravant le maintien de ses liens familiaux et accroissant le risque que celui-ci ne soit amené à récidiver à l’extérieur des murs.

Il est acquis que l’accroissement de la population détenue se poursuit sur le long terme à un rythme plus élevé que l’accroissement général de la population2, battant en brèche l’idée répandue selon laquelle la justice française serait laxiste.

Malheureusement, on ne peut que constater la difficulté de penser l’enfermement, toute tentative de réflexion en ce sens étant immédiatement renvoyée à deux idées communes : d’une part, le laxisme de l’institution judiciaire, d’autre part, l’image d’Épinal selon laquelle la détention serait un lieu de vacances. La persistance et l’enracinement des deux idées fausses est de nature à parasiter tout débat sociétal sur la surpopulation carcérale.

C’est ainsi que mi-août 2022, les réseaux sociaux se sont émus de l'organisation ponctuelle d'une compétition de karting au sein de la Maison d'Arrêt de Fresnes fin juillet 2022. Cet événement parfaitement anecdotique aurait eu vocation à le rester, pour autant en raison des réactions médiatiques, ce sujet s’est transformé en question politique.

Ainsi, le Garde des Sceaux a dû prendre position, expliquant qu’il n’avait jamais été informé de l’organisation de cet événement, et postant sur twitter le 20 août 2022 « La lutte contre la récidive passe par la réinsertion mais certainement pas par le karting ! »

Alors même que la fonction rétributive de la peine n’est qu’une fonction parmi d’autres3, elle constitue pourtant le cœur des interventions politiques relatives à la sanction et dans l’imaginaire collectif, elle s’y identifie.

Les déclarations quotidiennes à l’emporte-pièce qui fleurissent dans les médias ne consacrent que cette fonction rétributive de la peine dans son sens le plus archaïque.

Pour combattre la surpopulation carcérale, il faut attaquer ce cliché dans ses fondements en rappelant que d’une part, le droit à la dignité en détention ne se négocie pas et que d’autre part, les conditions d’incarcération influent directement sur le risque de récidive.

Face à cette situation, seule la voie judiciaire semble être à même d’obtenir des résultats rapides.Ainsi, le 13 octobre 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a ordonné4au Ministère de la Justice de mettre en œuvre neuf mesures aux fins de restaurer la dignité en détention. Nous nous félicitons que le juge administratif puisse faire avancer la situation.

La question est de savoir si le juge judiciaire doit également être partie prenante de ce processus. Certains ont cru précisément trouver le remède miracle à la surpopulation carcérale par un bricolage juridique amputant le pouvoir d’appréciation du juge tout en lui faisant porter la responsabilité sociale du non recours à l’incarcération. L’exemple le plus abouti a été la circulaire du 20 mai 2020 par laquelle la Ministre de la Justice d’alors, N.Belloubet, enjoignait aux magistrats du Parquet de requérir dans un sens prédéterminé en faveur de mesures alternatives à l’emprisonnement, en accueillant systématiquement les demandes de libération sous contrainte ou en ne mettant pas à exécution certaines peines. Pire encore, cette circulaire allait jusqu’à imposer des règles non prévues par la loi.

Cette atteinte flagrante à l’état de droit a conduit notre organisation à saisir le Conseil d’État d’une requête en annulation. L’excès de pouvoir était, à nos yeux, caractérisé par la violation du principe de légalité et d’individualisation des peines ainsi que par l’édiction d’une règle non prévue par la loi. Sur ce dernier point, nous avons fait valoir que la capacité hôtelière des centres pénitentiaires ne pouvait constituer un nouveau critère de détermination ou d’exécution de la peine.

Par arrêt du 23 septembre 2021, le Conseil d’État a accueilli favorablement notre action et cancellé la circulaire en ses éléments contraires à la loi. Au-delà de la leçon de droit ainsi donnée par la plus haute instance administrative de notre pays, un principe fondamental a été dégagé incidemment. Il n’appartient pas au juge judiciaire de suppléer la carence de l’État en matière de politique pénitentiaire et notamment, son indigence à construire un nombre de places suffisant pour mettre en conformité les conditions d’incarcération avec les exigences de la CEDH .

Cette dernière question recoupe la problématique de la surpopulation carcérale mais en est néanmoins distincte. Nous considérons que le critère de répartition des compétences entre l’ordre administratif et l’ordre judiciaire de 1790 doit être maintenu, le juge judiciaire étant le juge du principe de la privation de liberté tandis que le juge administratif doit rester le juge de ses modalités.

Pour UNITÉ MAGISTRATS, l’autorité judiciaire n’est pas la mieux à même de connaître de la question de la dignité en détention, au risque de dénaturer son office.

S’agissant du nombre de personnes incarcérées, l’autorité judiciaire peut être associée au désengorgement des prisons en partenariat avec l’office des juges d’application des peines. Une telle option implique de développer une véritable culture du milieu ouvert par la mise en œuvre d’un suivi renforcé des sursis probatoires et une augmentation du nombre des lieux de placement en partenariat avec les SPIP dont il faut urgemment et significativement augmenter les moyens.

Quant aux conditions d’incarcération, nous proposons de revenir à la loi, en appliquant finalement un principe déjà présent dans la législation française depuis la loi du 5 juillet 1875 et réaffirmé par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, à savoir l’encellulement individuel. Seul celui-ci est de nature à assurer la protection du détenu pendant son incarcération et à préparer sa réinsertion.

Un vrai programme ambitieux de mise à niveau du nombre de cellules pour rattraper celui de nos voisins5 doit être mis en œuvre de toute urgence mais cette augmentation du parc doit prioritairement constituer un moyen pour l’État de se soumettre lui-même à ses propres obligations légales, au lieu de reporter de moratoire en moratoire un principe arrêté il y a 150 ans.

En revanche, nous considérons que le principe de légalité des délits et des peines s’oppose à tout système qui aboutirait à conditionner la décision du juge à l’aune de la capacité des prisons. Le juge doit rester indépendant dans sa prise de décision.

UNITÉ MAGISTRATS rejette tout mécanisme contraignant de régulation carcérale comme étant contraire aux principes généraux du droit. Notre opposition est également fondée sur des raisons d’opportunité : un tel système aboutirait à des sorties non préparées qui équivaudraient à des sorties sèches.

Lutter contre la surpopulation carcérale est plus que jamais nécessaire mais sans piétiner l’état de droit et l’imperium du juge.

 

1 https://www.leparisien.fr/societe/prisons-la-hausse-du-nombre-de-detenus-se-poursuit-plus-de-72000-personnes-incarcerees-en-france-26-07-2022-3N5A7TKQDNBM5AZIJSH7YDGSGM.php

2 Les droits fondamentaux à l’épreuve de la surpopulation carcérale, CGLPL, 2018, p.30

3 https://www.lagbd.org/Fonctions_des_peines_(fr)

4 https://www.sudouest.fr/gironde/gradignan/prison-de-gradignan-33-le-juge-des-referes-ordonne-neuf-mesures-pour-ameliorer-les-conditions-de-detention-12595498.php

5 L'Allemagne et le Royaume-Uni comptent ainsi plus de 80 000 places en détention contre 60 703 places en France

 

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