BUDGET JUSTICE 2025 : INDICATEURS DE PERFORMANCE OU DE CONTRE-PERFORMANCE ?
COMMUNIQUE UNITE MAGISTRATS
BUDGET JUSTICE 2025 : INDICATEURS DE PERFORMANCE OU DE CONTRE-PERFORMANCE ?
Le 6 novembre 2024, Unité Magistrats SNM-FO a été entendu par la Commission des Lois du Sénat sur le budget justice du Projet de loi de finances 2025.
Le budget de la justice pour 2025 qui s’inscrit dans le «projet de loi d’orientation et de programmation de la justice pour 2023-2027», prévoyait chaque année une augmentation substantielle et historique. Cependant, le décret n° 2024-124 du 21 février 2024 avait déja annulé 328 millions d’euros en crédits de paiement au budget de la mission Justice, et une diminution de 487 millions d’euros pour le budget 2025 avait été annoncée. Grâce au Ministre de la justice, une enveloppe supplémentaire devrait être obtenue à hauteur de 250 millions pour en amoindrir les effets.
Le budget prévu pour 2025 qui s’élève à 10,24 milliards d’euros reste toutefois le plus important octroyé au Ministère de la Justice sur ces dernières décennies. Il était ainsi de 5,46 Milliards d’euros en 2005. Il a en outre augmenté de plus de 40 % depuis 2017.
Néanmoins, au regard du dernier rapport de la CEPEJ, publié le 16 octobre 2024, ces moyens sont encore insuffisants. Pour autant on ne peut nier les efforts budgétaires ainsi consentis. Mais pour quels résultats ?
Un budget en croissance, des indicateurs quantitatifs toujours alarmants.
C’est à travers divers indicateurs de performance que le gouvernement souhaite fixer ses objectifs, parmi lesquels figurent :
· la réduction des délais de jugement,
· la baisse des stocks,
· l’exécution rapide des peines d’emprisonnement.
Si l’on peut souligner quelques améliorations dans les délais de traitement au pénal grâce à l’usage important des procédures dites rapides, au TPE grâce aux délais contraints imposés par le CJPM, au civil en première instance, force est de constater que plusieurs indicateurs sont alarmants :
· à l’instruction le délai moyen de traitement en 2023 est passé de 48,5 mois en 2022 à 51,7 mois en 2023
· les stocks qui augmentent, en raison d’une forte croissance des affaires nouvelles au civil (+8 %) et aux prud’hommes (+8%)
· un stock qui a doublé pour les chambres de l’instruction entre 2019 et 2023 ![1]
L’indicateur du « nombre d’affaires » traitées par magistrat ne cesse d’augmenter et ne cessera d’augmenter dans les années à venir à en croire les pronostics du PLF qui relève que le stock au civil a augmenté de plus de 45.000 affaires en 2023 !
Alors qu’en première instance au civil, un magistrat traite une moyenne de 696 affaires par an en 2023, il devra en traiter une moyenne de 810 en 2026 !
Au pénal un juge du siège traite une moyenne de 925 affaires en 2023, et en traitera 1135 en 2026 !
Le parquet est concerné aussi puisqu’il traite en première instance 983 affaires en 2023, pour 1110 en 2026 !
Ces indicateurs de performance ressemblent davantage à des indicateurs de contre-performance :
En effet, comment expliquer qu’en dépit d’une augmentation des effectifs et du budget, ces indicateurs objectivent une situation qui ne cesse de s’aggraver tant par une charge de travail toujours plus importante que par une dégradation des délais ?
UNITE MAGISTRATS souligne depuis des années une absence de vision stratégique et de véritable réflexion dans l’élaboration du budget, ainsi qu’une critique sur les choix des indicateurs et des objectifs-cibles. Il préconise des pistes de réflexion pour remédier en partie à cet état des lieux inquiétant comme :
· la simplification de la procédure pénale et civile
· une définition plus stricte de l’« élément nouveau » permettant de saisir et ressaisir le juge
· la remise en place d’un timbre fiscal pour éviter des saisines et appels abusifs
· le développement des modes alternatifs de règlement des litiges
Il est urgent de mettre en place des réformes structurelles visant à rationnaliser l’organisation du travail, une RH performante et une délimitation claire du périmètre de l’office du juge.
Des objectifs incohérents à l’origine d’indicateurs contre-performants.
La politique pénale des derniers Gardes des sceaux demande aux magistrats davantage de fermeté dans les sanctions, tout en multipliant toutes les possibilités d’alternatives aux poursuites et à l’emprisonnement.
Les indicateurs de performance montrent qu’on poursuit de moins en moins[2], qu’on prononce de moins en moins de peines d’emprisonnement ferme[3], et qu’on aménage de plus en plus les peines de prison[4]. A travers les objectifs-cibles du PLF 2025, il est demandé aux magistrats de prononcer encore plus d’alternatives et d’aménagements.
Cependant, le PLF ne fixe aucun taux d’exécution des peines alternatives à l’emprisonnement, tels que l’amende (peine la plus prononcée) ou encore le TIG.
Ainsi le gouvernement demande au juge de prononcer toujours plus de peines autres que de l’emprisonnement sans proposer d’indicateurs qui permettraient d’en connaître l’efficacité et la pertinence !
De plus, il convient d’interroger cette pertinence lorsque l’on constate que le choix d’augmenter les alternatives à l’emprisonnement et les aménagements, ont pour effet non pas de diminuer le taux de population carcérale, mais au contraire de favoriser la surpopulation carcérale. Jamais nous n’avons fait autant d’alternatives (76,2 %) et jamais nos prisons n’ont été aussi engorgées[5] !
UNITE MAGISTRATS, syndicat pragmatique, considère que les mêmes causes ne peuvent qu’entraîner les mêmes effets, préconise un changement radical de politique pénale : incarcérer plus vite, plus court et de manière certaine[6].
Outre qu’une telle politique redonnerait du sens à la peine, elle permettrait de mieux prévenir la récidive mais aussi de diminuer la surpopulation carcérale, causée en partie par des peines de plus en plus longues.
Quel indicateur de performance pour le CSM ?
Le PLF 2025 relève que l’indicateur le plus pertinent pour juger de l’efficience de l’action du CSM dans les nominations devrait reposer sur « la qualité des nominations de magistrats », mais ajoute « qu’un tel outil est toutefois difficile à construire et documenter »[7]Cela signifie-t-il que le meilleur moyen d’évaluer une performance serait de ne pas l‘évaluer ? En attendant une réforme du CSM telle que notre syndicat la demande, il serait urgent de construire des indicateurs fiables comme une véritable évaluation à 360 ° des chefs de juridiction et une refonte de l’évaluation des magistrats ainsi qu’une transparence accrue sur les modalités de nomination.
[1] Le stock dans les chambres de l’instruction passe de 6630 en 2019 à 13.400 en 2023. (source : PLF 2025)
[2] Le taux d’alternatives aux poursuites était de 24,3 % en 2022, 33,3 % en 2023, avec un objectif-cible de 47 % pour 2027.
[3] Selon le PLF, le pourcentage de prononcé de peines alternatives à l’emprisonnement était de 76,2 % en 2023, avec un objectif-cible de 82 % en 2027
[4] Selon le PLF, le pourcentage de personnes placées sous écrou et condamnées bénéficiant d’un aménagement de peine était de 27 % en 2023, pour un objectif-cible fixé à 32 % en 2024.
[5] La surpopulation carcérale a atteint un taux de 142,3 % en Maison d’arrêt en 2023, et le PLF indique qu’il ne cessera de croître, pour atteindre le taux de 165 % en 2026 !
[6] Cf article du Figaro de Béatrice Brugère, SG d’Unité Magistrats « Nos prisons ne débordent pas parce que nous incarcérons trop, mais parce que nous incarcérons trop tard ».
[7] Source : projet annuel de performance du PLF 2025, page 283