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OPEN DATA : à nos risques et périls !

Flash info 04/04/2023

OPEN DATA : à nos risques et périls ! - Syndicat Unité Magistrats SNM FO

UNITÉ MAGISTRATS a été entendu le 9 mars 2023 à la Cour de cassation par le comité stratégique mis en place dans le cadre d’un groupe de travail sur l’extension de l’Open Data dans les tribunaux judiciaires de première instance, en matière civile, commerciale et sociale.

Qu’est-ce que l’Open Data ? Où en est-on ?

Pour rappel, l’Open Data des décisions de justice, consiste à mettre en ligne l’intégralité de celles-ci, en les rendant accessibles au public, en l’occurrence, sur le site internet de la Cour de cassation, via une base de données accessible sur « Judilibre ».

https://www.courdecassation.fr/acces-rapide-judilibre

L’intégralité des décisions de la Cour de cassation, ainsi que les décisions civiles, commerciales et sociales rendues par les Cours d’appel, sont déjà mises en ligne.

D’ici la fin de l’année 2023, les décisions rendues en matière civile, commerciale et sociale par les tribunaux judiciaires de Bobigny, Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Paris, Rennes, Saint-Denis de la Réunion et Versailles seront également diffusées en Open Data.

La diffusion des autres décisions de l’ordre judiciaire se poursuivra jusqu’en décembre 2025 selon un calendrier fixé par arrêté du 28 avril 2021.

UNITÉ MAGISTRATS avait participé à un précédent groupe de travail sur l’Open Data, le 8 avril 2021 au cours duquel nous avions déjà alerté sur les risques du dispositif. Force est de constater qu’ils demeurent toujours d’actualité.

Une charge de travail supplémentaire pour les magistrats et surtout pour les greffiers

A ce jour, le bilan réalisé au sein des Cours d’appel n’a fait l’objet d’aucune communication. Selon le comité stratégique, ce bilan serait positif. Il n’impliquerait aucune surcharge de travail pour les magistrats grâce à l’utilisation d’un système automatisé pour l’anonymisation des parties et les « occultations complémentaires » dans les décisions ayant vocation à être publiées (ces occultations visant à dissimuler certains éléments de la décision qui permettraient d’identifier les parties concernées).

Toutefois, il convient de rappeler que le contenu de la décision mise en ligne relève de la responsabilité du magistrat. Ainsi, en cas de préjudice éventuellement causé par la publication d’une décision permettant d’identifier une partie, c’est précisément la responsabilité du magistrat qui serait susceptible d’être recherchée. L’automatisation a ses limites. On ne saurait faire l’impasse sur un contrôle « humain ».

S’agissant de la charge de travail inhérente au procédé, les premiers impactés sont les greffiers qui doivent assurer la lourde tâche de la mise en ligne des décisions de justice via un logiciel particulièrement fastidieux.

L’ampleur de cette mission est loin d’être anodine. En effet, les décisions concernées en première instance seront nettement plus nombreuses que celles rendues en Cour d’appel.

Si UNITÉ MAGISTRATS prend acte des efforts consentis pour limiter la charge de travail supplémentaire imputable aux magistrats et aux greffiers, via notamment un système d’automatisation, celui-ci comporte d’évidentes limites. Il est regrettable qu’une fois de plus, cette réforme significative ait été mise en place « au pas de course » et à moyens constants.

Des inquiétudes légitimes s’agissant de la sécurité des magistrats et des greffiers

Si la loi du 23 mars 2019 a posé le principe de l’anonymisation des parties ou des tiers, tel n’est pas le cas pour les magistrats et les greffiers dont les identités figurent sur les décisions faisant l’objet d’une mise en ligne accessible au grand public.

Dans le seul cas où « la divulgation est de nature à porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée de ces personnes ou de leur entourage », il appartiendra au Président de la juridiction concernée de décider d’occulter ou non, les identités des magistrats ou des greffiers intéressés.

Si UNITÉ MAGISTRATS entend le principe de la transparence de la justice, il est néanmoins légitime de s’inquiéter des éventuelles répercussions sur la sécurité des professionnels concernés de la publicité intégrale de décisions dont certaines peuvent, de surcroît, revêtir un caractère sensible.

Des préoccupations similaires peuvent être soulevées s’agissant de leur utilisation sans discernement dans les médias, sur les réseaux sociaux ou tout autre support de communication grand public. Quelles seront les conséquences pour les magistrats -ou les greffiers- dont les noms pourront ainsi être aisément jetés en pâture ? L’actualité amplifie encore davantage nos appréhensions au vu de la prolifération d’excès et de dérives dans les médias concernant le traitement de telle ou telle affaire et/ou la mise en cause de magistrats dont les décisions sont susceptibles de déplaire.

Nos craintes sont grandissantes pour les décisions de première instance, plus souvent prononcées à juge unique et comportant de fait, un risque accru de focalisation sur « la personne » du magistrat statuant à l’instance.

Transparence oui, mais pas à n’importe quel prix ! Et certainement pas sans garantie pour les professionnels de la justice exerçant déjà leurs missions dans des conditions dégradées et dans un contexte exacerbé de souffrance au travail.

En l’état actuel du droit applicable, UNITÉ MAGISTRATS déplore que ces garanties soient largement insuffisantes. Dans tous les cas, elles sont insusceptibles de répondre aux attentes légitimes des magistrats – et des greffiers- pour les prémunir des dangers encourus par la publicité tous azimuts de leur identité.

Des atteintes aux droits des justiciables ?

Sur ce point, le groupe de travail s’est voulu rassurant en faisant remarquer que seuls 6 recours avaient été formés par des justiciables contre l’insuffisance d’occultations dans des arrêts de Cour d’appel.

Pour autant, UNITÉ MAGISTRATS relève que les notifications des décisions de justice ne mentionnent pas en l’état, qu’elles ont vocation à être publiées, ni que le justiciable peut faire un recours s’il craint un risque pour sa sécurité ou une atteinte à sa vie privée. Ainsi, une partie à un procès pourra découvrir à sa grande surprise que la décision le concernant est accessible au grand public, sans même en avoir été averti. N’y aurait-il pas là une contradiction entre l’objectif de transparence et la volonté de rétablir la confiance entre les citoyens et l’institution judiciaire ? Découvrir a posteriori que sa décision est accessible à tous « en un clic » sera certainement le meilleur moyen de renforcer la confiance du justiciable envers la justice…

La possible instrumentalisation des décisions de justice par la legal tech ?

UNITÉ MAGISTRATS estime que le danger de « profilage » permis par la diffusion massive des décisions de justice est réel en dépit de la loi française en interdisant la pratique. Ainsi, des sociétés basées à l’étranger, notamment, dans des pays où la législation est moins stricte en la matière, auront pareillement accès aux décisions ainsi publiées.

 

Au regard des multiples problématiques soulevées, UNITÉ MAGISTRATS sera particulièrement vigilant au périmètre et aux modalités de mise en œuvre de l’Open Data dans les juridictions de première instance qui ne devront en aucun cas, préjudicier aux magistrats et à leur entourage.


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