8 mars 2022 – JOURNÉE DE LA FEMME Magistrate ou magistrat : A travail égal, salaire égal ?

La journée internationale des droits des femmes célébrée ce 8 mars 2022 serait-elle l'occasion pour les 6398 femmes de la magistrature d'examiner leur bulletin de paye ?
A priori l'idée pourrait paraître cavalière voire saugrenue en ce jour de festivité convenue.
Nous entendons déjà l’objection de certains : « Enfin, Mesdames, voyons, vous savez bien qu'aux termes de l'ordonnance statutaire, les traitements des magistrats sont fixés par décret en conseil des ministres, qu'ils sont fonction du grade et de l'échelon selon des grilles indiciaires exemplairement transparentes et sans aucune considération de sexe ».
Une telle initiative pourrait de surcroît s'interpréter comme une marque d’ingratitude. Le Ministère de la Justice ne vient-il pas d’obtenir, le 14 février 2022, le double Label Égalité/Diversité délivré par l'AFNOR ? Ce Graal est censé récompenser « son exemplarité dans ses pratiques de gestion des ressources humaines en faveur de l'égalité professionnelle et de la diversité ». Excusez du peu.
Sommes-nous certains que l'étendard publicitaire de cette labellisation ne serve à dissimuler une réalité beaucoup moins flatteuse ?
UNITÉ MAGISTRATS s'interroge d'autant plus légitimement qu'il est le seul syndicat de magistrats à participer activement depuis 4 ans à toutes les instances du Ministère de la Justice sur l'égalité femmes/hommes.
Dans ce cadre, figure au premier rang de nos points de vigilance, la recherche de potentiels écarts de rémunérations entre les hommes et les femmes dans la magistrature. Pouvons-nous déceler ici, encore, un « léger hiatus » entre la théorie et la pratique...comme fréquemment dans notre Administration ?
Rappelons que le Ministère de la Justice est soumis à une obligation légale de résultat pour combattre et réduire les inégalités. Encore faut-il qu'il ait procédé à un état des lieux qui permette d'en identifier les causes. Un travail apparemment herculéen pour la DSJ qui le remet toujours aux calendes grecques...
Afin d'accélérer le processus, dès novembre 2020, lors de l'intervention du Garde des Sceaux au Comité de suivi de l'accord sur l'égalité professionnelle femmes/hommes, UNITÉ MAGISTRATS a demandé qu'une analyse approfondie soit réalisée sur l'octroi des primes dans la magistrature. Si la DSJ a répondu favorablement, elle n'a bizarrement toujours rien produit.
Pourtant, le sujet est loin d'être anodin. Aux termes du dernier bilan social ministériel, la part des primes et indemnités représente pour les hommes, 44,8% de la rémunération nette, et pour les femmes, 43,6%.
Notre régime indemnitaire est certes transparent s'agissant de la prime forfaitaire dite « indemnité de fonction ». Il est nettement plus opaque dans ses critères d'attribution pour « la prime modulable ». Elle peut varier individuellement entre 0 et 18% du traitement brut en fonction de l'appréciation « objectivement-subjective » de la contribution du ou de la collègue au bon fonctionnement de l'institution judiciaire.
Mais que de suspicions ! Ne devrions-nous pas nous contenter d'une sage relecture du bulletin officiel d'août 2011, qui nous rappelle que le taux moyen – invérifiable- est fixé à 12% -sauf exceptions- ...et qu'il n'a pas augmenté depuis 2013 ? Quant au chiffre noir du nombre de recours hiérarchiques ou contentieux des collègues contestant le taux de prime attribué, il serait évidemment malvenu de l’évoquer aujourd'hui.
A défaut d'obtenir de la DSJ les chiffres réclamés à maintes reprises, UNITÉ MAGISTRATS s'est livré, à partir des données extraites du dernier bilan social, à l'analyse de la répartition croissante de la rémunération des magistrats pour calculer le différentiel entre les femmes et les hommes.
Il n'y a guère besoin d'être détenteur d'un prix Nobel de mathématiques pour constater que dans toutes les tranches de traitement des magistrats, les femmes accusent un différentiel négatif par rapport aux hommes de - 300 euros à - 1250 euros.
La répartition de la rémunération des magistrats en 10 tranches croissantes aboutit au tableau suivant :
1er décile |
2e décile |
3e décile |
4e décile |
5e décile |
6e décile |
7e décile |
8e décile |
9e décile |
10e décile |
H |
F |
H |
F |
H |
F |
H |
F |
H |
F |
H |
F |
H |
F |
H |
F |
H |
F |
H |
F |
2519 |
2215 |
3584 |
3234 |
4208 |
3573 |
4935 |
3918 |
5698 |
4440 |
6134 |
4935 |
6303 |
5705 |
6648 |
6152 |
6962 |
6405 |
8368 |
7399 |
|
-304 |
|
-350 |
|
-635 |
|
-1017 |
|
-1258 |
|
- 1199 |
|
-598 |
|
-496 |
|
-557 |
|
-969 |
La situation est-elle plus réjouissante si l'on compare la rémunération brute et nette mensuelle moyenne des magistrats hommes/femmes à partir des chiffres du dernier bilan social ministériel ? Il n'en est rien, bien au contraire.
Alors que les femmes représentent près de 70% du corps de la magistrature, elles gagnent 16% de moins que les hommes !
Une prouesse pour la DSJ qui peut sans coup férir prétendre à la première place du podium des écarts de rémunérations au Ministère de la Justice avec une mention spéciale pour l'art d'esquiver depuis près de 2 ans toutes nos demandes chiffrées.
Avec un Garde des Sceaux doublement labellisé et détenteur du record toutes catégories des budgets historiques, on pouvait rêver mieux !
Notre syndicat lui, a la volonté de faire aboutir entre autres revendications, l'égalité professionnelle. En ce 8 mars 2022, nous rappelons au Ministre de la Justice que nous réclamons un plan d'action immédiat pour mettre un terme aux scandaleux écarts de rémunération entre les femmes et les hommes dans la magistrature et l'octroi à cette fin, d'une enveloppe budgétaire dédiée au rattrapage de ces différentiels abyssaux.
Le droit des femmes, c'est aussi celui de ne pas brader notre fiche de paie.