RÉFORME DE LA GARDE A VUE : UNITÉ MAGISTRATS LANCEUR D’ALERTE

Alors que l’ensemble des professionnels de la justice attend une simplification de la procédure pénale et que l’efficacité des enquêtes est au cœur des préoccupations, un projet de loi du 21 décembre 2023[1] actuellement examiné devant le Parlement prévoit une modification du régime de la garde à vue.
Ce projet dans sa rédaction initiale aurait eu pour conséquence de fragiliser les enquêtes et complexifier davantage la procédure pénale, en rendant de facto impossible l’audition d’un gardé à vue sans avocat si celui-ci n’est pas joignable.
Si cette modification a pour objet de mettre notre législation en conformité avec le droit de l’Union européenne[2], la Commission européenne n’imposait pas dans son interprétation, une rédaction aussi restrictive que celle initialement prévue par le gouvernement.
Pourquoi aller au-delà de ce qu’exige le droit européen au risque de paralyser nos enquêtes ?
UNITÉ MAGISTRATS entendu par le Sénat en novembre dernier (Voir notre contribution en pièce jointe) a fait valoir que les modifications de la garde à vue déjà introduites (avis à des tiers, contrôle de l’identité) par la loi de programmation justice du 20 novembre 2023, fragilisaient déjà les investigations et alourdissaient le travail du parquet et des enquêteurs.
Sur cette nouvelle réforme, qui vise à empêcher toute audition d’une personne gardée à vue hors la présence d’un avocat sauf accord exprès du gardé à vue, UNITÉ MAGISTRATS a fait remarquer que la Commission européenne avait rendu à ce sujet, un avis motivé en date du 28 septembre 2023, non publié, et dont nous n’avions pas même été destinataires.
Notre syndicat a attiré l’attention du Sénat sur l’existence de cet avis. Or, celui-ci permettait une interprétation plus souple que celle retenue par la Chancellerie. Le Sénat a en conséquence, transmis le 20 décembre dernier à l’Assemblée Nationale un texte amendé [3], se basant sur l’avis de la Commission européenne.
Le rapporteur du texte soulignait : « faisant une interprétation erronée d’un avis motivé qui a pourtant été précédé d’une mise en demeure précise il y a plus de deux ans, ce qui aurait dû laisser au Gouvernement le temps d’en faire une analyse poussée (et, évidemment, ce qui aurait dû le conduire à aviser immédiatement le Parlement et à l’associer à ses réflexions), l’article 28 du projet de loi supprime purement et simplement le dispositif de "carence" qui permet aujourd’hui aux officiers de police judiciaire d’entendre une personne gardée à vue deux heures après que son avocat a été contacté pour venir l’assister et ce, y compris si l’avocat n’est pas effectivement présent à l’expiration de ce délai. »
« Or, si la Commission européenne a vu dans cette "carence" une transposition incorrecte de la directive 2013/48/UE (dite "directive C") sur le droit d’accès à un avocat, elle n’a pas pour autant exclu la possibilité d’une audition immédiate des gardés à vue. »
« Plus encore, il apparaît que cette possibilité est compatible avec la directive dès lors qu’elle se fait dans le cadre des "dérogations" prévues par l’article 3 (points 5 et 6) de ce texte, et qui portent sur trois hypothèses[4]. »
Le Sénat ajoute en conséquence :
« Ainsi, afin d'éviter de priver indûment les officiers de police judiciaire et les parquets de la possibilité de procéder à l'audition immédiate d'un gardé à vue tout en respectant strictement les contraintes posées par la directive C de 2013, le présent amendement prévoit :
- de retenir, plutôt que la notion d'"investigation urgente tendant à la conservation ou au recueil des preuves" qui existe dans la rédaction actuelle du code de procédure pénale, la rédaction plus large issue de la directive précitée, qui permet un report de l'assistance de l'avocat ou une audition immédiate du gardé à vue en cas de "situation susceptible de compromettre sérieusement une procédure pénale" ;
- de maintenir la possibilité d'une audition immédiate dans les deux autres hypothèses prévues par la directive, donc "pour prévenir une atteinte grave à la vie, à la liberté ou à l'intégrité physique d'une personne" mais aussi "lorsqu'il est impossible, en raison de l'éloignement géographique du lieu où se déroule la garde à vue, d'assurer le droit d'accès à un avocat sans retard indu" ;
- de réécrire, par coordination, les dispositions relatives aux prérogatives des avocats lorsqu'ils se présentent auprès de leur client alors qu'une audition ou une confrontation est en cours. »
Cette réécriture serait conforme à l’esprit du texte et permettrait, tout en sauvegardant les exigences européennes sur la sauvegarde des droits de la défense, de préserver l’effectivité des enquêtes pénales.
UNITÉ MAGISTRATS se félicite d’avoir pu contribuer à ce « rattrapage » et continuera à œuvrer pour une justice efficace dans le respect des droits et libertés fondamentaux.
Il va sans dire que nous demeurons particulièrement vigilants sur les suites des travaux parlementaires qui porteront sur ce texte et que nous n’hésiterons pas à alerter, à nouveau, le Parlement et le Gouvernement sur les risques des excès de zèle idéologique combinés à une lecture superficielle des directives européennes en cette matière.
[1] Projet de loi 2041 Portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière d’économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole.
[2] Directive 2013/48/UE du 22 octobre 2013
[3] https://www.senat.fr/amendements/commissions/2023-2024/112/Amdt_COM-39.html
[4] - en cas de nécessité urgente de prévenir une atteinte grave à la vie, à la liberté ou à l’intégrité physique d’une personne ;
- lorsque les autorités qui procèdent à l’enquête doivent agir immédiatement pour éviter de compromettre sérieusement une procédure pénale ;
- lorsqu’il est impossible, en raison de l’éloignement géographique d’un suspect ou d’une personne poursuivie, d’assurer le droit d’accès à un avocat sans retard indu après la privation de liberté.
L’audition immédiate est également possible dans un quatrième cas, c’est-à-dire si la personne a renoncé expressément à bénéficier de l’assistance de l’avocat : cette possibilité est, pour mémoire, prévue par la nouvelle rédaction de l’article 63-4-2.