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Loi de finances 2020 : Qui profitera des crédits confiés à la Justice ?

Flash info 03/12/2019

Loi de finances 2020 : Qui profitera des crédits confiés à la Justice ?  - Syndicat Unité Magistrats SNM FO

Suite à sa récente audition au Sénat sur le projet de loi de finances 2020, UNITÉ MAGISTRATS propose un décryptage sans concession des véritables enjeux du budget de la justice.

Une hausse peu visible des moyens affectés aux juridictions

Le projet de loi de finances pour l’exercice 2020 prévoit une enveloppe de crédits de paiement de 3,5 milliards d’euros au bénéfice du programme 166 « Justice judiciaire » soit une hausse de 0,37% (12 millions d’euros). Pour autant, personne n’est en mesure d’affirmer ni de justifier que l’ensemble de ces crédits seront employés pour les besoins de nos missions. La seule certitude démontrable est que nous connaitrons au contraire une situation inverse.

La stagnation du régime indemnitaire et l’insuffisance d’entretien du parc immobilier judiciaire

La faible hausse des crédits affectés aux services judiciaires sera intégralement absorbée par l’augmentation mécanique des dépenses de personnel qui se chiffrera à 30 millions d'euros (+1,29%). Ces dépenses - qui sont incontournables - représentent 68% des crédits de paiements des services judiciaires. Ce faisant, aucune revalorisation du régime indemnitaire des magistrats n’est prévue, à l’exception des astreintes et interventions des parquetiers…dans de modestes proportions.

Dans le même temps, les crédits de paiement affectés à l’investissement (titre 5) seront diminués d’1 million d'euros. Pour autant, la vétusté du parc immobilier des services judiciaires est un sujet qui a été pointé par la Cour des Comptes dans son rapport sur la politique immobilière du Ministère de la Justice de décembre 2017 . La Haute Juridiction relevait l’absence de mise aux normes de l’immobilier judiciaire auquel il faut ajouter les défauts d’isolation ainsi qu’un « important degré de dégradation ». Ce manque d’ambition génèrera une majoration des dépenses qui seront rendues nécessaire par l’aggravation des désordres constatés. En outre, le recours aux partenariats public-privé, par les coûts différés élevés qu’il implique, va considérablement réduire les marges de manœuvre financières du Ministère. En définitive, l’effort d’investissement ne représente que 6% des crédits de paiements, ce qui signifie que 94% des moyens des services judiciaires sont affectés aux « charges courantes » …

Des dépenses de fonctionnement dont l’affectation et la maîtrise sont discutables …

La loi de Finances n’est qu’un exercice de prévision dont on peut douter de la sincérité. Ainsi, les services judiciaires espèrent une baisse de 16,4 millions d'euros de leurs dépenses de fonctionnement, incluant les frais de Justice, sans qu’il ne soit justifié à quel phénomène serait imputable une baisse aussi considérable…

Les dépenses de fonctionnement (0,9 milliards d'euros) représentent 26% des crédits de paiements prévus pour le programme 166.

Le secrétariat général communique sur les économies que sont censées générer les achats qu’elle pilote ainsi que sur le contrôle interne budgétaire exigé par le Ministère des Finances. Pour autant, au niveau des territoires, les exemples de contrats onéreux et de financement de prestataires à l’efficacité contestable restent encore trop nombreux. En outre, et quel que soit le programme concerné, force est de constater que la culture du contrôle des partenaires financés par le Ministère de la Justice est souvent inexistante. Le recours à des opérateurs privés pour concourir à nos missions est un choix justifiable mais il suppose a minima un examen strict non seulement de leur activité mais encore de l’emploi des subventions qui leur sont confiées. L’usage de ces financements échappe en effet aux règles d’exécution des dépenses publiques, conçues comme une garantie forte en terme de contrôle et de probité.

La situation des frais de Justice est encore plus préoccupante dans la mesure où les services judiciaires n’ont qu’une très faible connaissance de la dépense engagée. Cette compétence est à ce jour gérée comme une fonction de paiement. Les carences dans la négociation, le contrôle et le suivi de cette enveloppe sont génératrices d’un risque endémique de surcoûts, d’erreurs et de fraudes difficilement compatible avec la réputation de garant de la norme qui devrait pourtant être celle de notre institution. Par ailleurs, bien qu’une prise de conscience relative à la nécessité de maîtriser les frais de gardiennage de véhicules émerge peu à peu, tel n’est pas le cas avec la conservation des prélèvements biologiques. La situation financière dégradée des hôpitaux publics les a amenés à considérer le Ministère de la Justice comme un financeur pérenne dans la mesure où celui-ci est dans l’incapacité d’identifier les prélèvements dont la conservation est nécessaire ou non…

Les dysfonctionnements coûteux générés par la désorganisation de la chaîne pénale

Alors que les justices administratives et financières ont une véritable politique d'emploi adaptée à leurs missions, les services judiciaires ont recours à des personnels chargés de pallier les difficultés générées par la dématérialisation hasardeuse de ses procédures et par les carences de ses outils informatiques. Après avoir écarté les applications collaboratives utilisées par les autres juridictions et qui permettent l’enregistrement, le stockage, la sécurisation et l’horodatage automatique de l’ensemble de l’activité juridictionnelle, notre Ministère a fait le choix de multiplier les tâches de saisies, parfois en double ou en triple et de matérialisation de procédures nativement dématérialisées qui seront ensuite re-numérisées, le plus souvent de manière anarchique et non opérationnelle. Ces mauvaises pratiques sont injustifiables du point de vue de leur utilité pour le service public et onéreuse du point de vue budgétaire.

Des indicateurs contestables

Les indicateurs de « performance » retenus posent également question en terme de sincérité et de fiabilité. Les statistiques produites par le Ministère de la Justice sont purement déclaratives et sans fiabilité avérée comme cela a été relevé par la Cour des Comptes dans son rapport sur l’approche méthodologique des coûts de la Justice de décembre 20181. Plus encore et sans les détailler exhaustivement, la structure des indicateurs peut surprendre. Ainsi, l’indicateur « dépense moyenne de frais de justice par affaire » est explicitement justifié par le fait que « la très grande majorité des frais de justice criminels est générée par une affaire pénale faisant l'objet de poursuites ». Or, l’indicateur mesure au contraire la dépense moyenne par affaire ayant fait l’objet d’une réponse pénale, ce qui a pour effet d’agréger aux poursuites réelles des dossiers ayant fait l’objet d’un classement sans suite. Par ailleurs, les alternatives comme les médiations et les stages sont présumées « qualitatives » (indicateur « alternative aux poursuites ») en l’absence même de contrôle de leur contenu effectif. Enfin, la définition et le mode de calcul du délai de mise à exécution des « peines d’emprisonnement ferme » apparaît particulièrement peu explicite.

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En conclusion, la réalité de l’activité des services judiciaires n’est actuellement pas mesurable. Au surplus, une forte partie de ses moyens est redistribuée à des opérateurs extérieurs dans des conditions qui ne sont pas toujours justifiables. En ce qui concerne les moyens gérés en régie, l’informatique déconnectée de l’activité opérationnelle et la désorganisation de la chaîne pénale occasionnent des surcoûts structurels non soutenables. Les services judiciaires ont ainsi souffert d’un grave déficit de contrôle interne et externe qui a permis à cette situation dysfonctionnelle de s’installer et de perdurer.

Il est plus que temps de mettre un terme aux fonctionnements trop souvents critiquables des services judiciaires pour aboutir à une réorientation des moyens qui lui sont attribués en direction de ses missions et de ses personnels.

UNITÉ MAGISTRATS ne se satisfera pas des effets d'annonce d'un budget en trompe-l'œil et réclame l’autonomie financière des services judiciaires.

 

1 Ni les outils statistiques, ni les études d’impact, ni les indicateurs de performance ne sont suffisamment fiables et complets, rapport cité page 7.

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