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Unité Magistrats FO

Pour une réforme du régime juridique de l'hospitalisation sans consentement

Etats Généraux 15/01/2022

Pour une réforme du régime juridique de l'hospitalisation sans consentement - Syndicat Unité Magistrats SNM FO

États généraux de la Justice

Groupe de travail « Justice de protection »

 

Contribution UNITÉ MAGISTRATS SNM FO

 

Pour une réforme du régime juridique de l'hospitalisation sans consentement

Depuis la décision du Conseil Constitutionnel du 26 novembre 2010 (n°2010-71 QPC), le contrôle des mesures d'hospitalisation sous contrainte relève systématiquement de l'autorité judiciaire dès lors que la durée de la contrainte a vocation à dépasser un certain délai. La loi du 5 juillet 2011 (n°2011-803) a créé dès lors un contrôle systématique des mesures d'hospitalisation sous contrainte par le juge des libertés et de la détention dans les quinze jours de l'admission. Ce délai a été ramené à douze jours par la loi du 27 septembre 2013 (n°2013-869).

Ce contentieux est actuellement en pleine expansion, dans la mesure où deux décisions récentes du Conseil Constitutionnel (Cons. const. 19 juin 2020 n°2020-844 QPC ; Cons. const. 4 juin 2021 n°2021-912/913/914 QPC), étendent le champ du contrôle de l'autorité judiciaire aux mesures d'isolement et de contention pouvant être prises. Le maintien de ces mesures doit en effet être soumis, au-delà d'une certaine durée, au contrôle du juge judiciaire.

L'isolement est défini comme le « placement du patient à visée de protection, lors d’une phase critique de sa prise en charge thérapeutique, dans un espace dont il ne peut sortir librement et qui est séparé des autres patients. Tout isolement ne peut se faire que dans un lieu dédié et adapté. » (HAS, Recommandation de bonne pratique, isolement et contention en psychiatrie générale, févr. 2017, p. 9) La contention est définie comme « l'utilisation de tous moyens, méthodes, matériels ou vêtements empêchant ou limitant les capacités de mobilisation volontaire de tout ou partie du corps dans un but de sécurité pour un patient dont le comportement présente un risque grave pour son intégrité ou celle d’autrui » (HAS,op.cit, p.9).

I. La nature du contrôle opéré par le juge

La nature de ce contrôle n'a pas été fixée au sein du code de la santé publique, tant pour le contrôle portant sur le principe même de l'hospitalisation que pour celui portant sur l'isolement et la contention.

Deux écoles d'interprétations coexistent à ce sujet.

A. L'école « interventionniste »

La première école, « interventionniste », considère qu'il revient au juge des libertés et de la détention d'exercer un contrôle de proportionnalité et de déterminer en son âme et conscience si l'hospitalisation est ou non justifiée.

Elle se fonde au premier chef sur la décision du Conseil Constitutionnel du 26 novembre 2010, qui énonce (§39) que « le droit à un recours juridictionnel effectif impose que le juge judiciaire soit tenu de statuer sur la demande de sortie immédiate dans les plus brefs délais compte tenu de la nécessité éventuelle de recueillir des éléments d’information complémentaires sur l’état de santé de la personne hospitalisée ». Ce pouvoir d'investigation reconnu au juge semble appeler à un contrôle d'opportunité.

Par ailleurs, la loi invite à une intervention du juge dans le champ médical lorsqu'il prononce la mainlevée d'une mesure prise sous la forme d'une hospitalisation complète. Dans cette hypothèse, le juge peut, ou non, décider que la levée sera différée de 24 heures aux fins de mise en place d'un programme de soins (forme alternative de prise en charge en ambulatoire maintenant le cadre de la contrainte).

Enfin, l'obligation de comparution du patient à l'audience semble faire corps avec un contrôle d'opportunité.

Cette école est respectueuse de l'idée qu'avait exprimé le Conseil Constitutionnel mais ne parvient pas à esquiver la question de la légitimité du juge des libertés et de la détention à prendre des décisions de nature médicales alors même qu'il n'est pas médecin.

En d'autres termes, cette école fonctionne en théorie mais pas vraiment en pratique.

B. L'école « cloisonnée »

La seconde école, que l'on peut qualifier de « cloisonnée », estime que le juge des libertés et de la détention est entouré d'un déficit de légitimité pour pouvoir porter une appréciation relevant du champ médical.

Selon cette école, il n'appartient pas au juge des libertés et de la détention d'entrer dans le champ médical, lequel ne relève pas de sa compétence.

Elle se fonde essentiellement sur un arrêt de la Cour de Cassation du 27 septembre 2017 (n°16-22.544).

Par un arrêt confirmatif, une Cour d'appel avait ordonné la mainlevée d'une mesure d'hospitalisation sans consentement aux motifs que les constatations médicales étaient imprécises, en discordance avec les propos tenus par l'intéressé à l'audience et qu'il ne pouvait qu'être regretté l'absence d'informations et de documents autres que médicaux pour permettre à la Cour d'apprécier l'opportunité de la poursuite de l'hospitalisation. Cette position est sévèrement censurée par la Cour de Cassation.

La Cour de Cassation affirme que le juge ne doit apprécier le bien-fondé de la mesure « qu'au regard des certificats médicaux qui lui sont communiqués et qu'en statuant ainsi, le juge a substitué son avis à l'évaluation par les médecins des troubles psychiques de la personne et de son consentement aux soins ».

Cette école est plus pragmatique, dans la mesure où le juge reste dans son champ de compétence et qu'il n'y a pas de risque d'erreur d'appréciation du juge sur l'état médical d'un patient.

En revanche, elle est plus éloignée de la vision exposée par le Conseil Constitutionnel et elle ne parvient pas à éviter deux écueils : si seule la rectitude procédurale est vérifiée, un contrôle sur pièces, sans présence du patient à l'audience, serait suffisant ; par ailleurs et surtout, la proportionnalité de la mesure d'hospitalisation ne peut être vérifiée par un contrôlé cloisonné.

En d'autres termes, cette école fonctionne en pratique, mais pas vraiment en théorie.

II. Un contentieux impensé

Le code de la santé publique ne tranche pas entre ces deux approches.

Les raisons de cette absence de choix s'expliquent par la genèse de la loi du 5 juillet 2011.

En effet, en temps normal, une volonté politique précède une intervention législative et donne une cohérence interne à la législation qu'elle porte, laquelle est nécessairement soutenue par une vision.

Dans le cas d'espèce, la loi du 5 juillet 2011 a l'originalité d'être une loi dépourvue de volonté préalable puisqu'elle avait pour unique but de se mettre en conformité avec la décision du Conseil Constitutionnel. Et les lois postérieures intervenues en la matière sont restées dans cette perspective technique.

Dès lors, on est actuellement en présence d'un contentieux impensé. Cet impensé a des conséquences pratiques notables dans la manière dont les juges exercent leurs missions.

En effet à l'heure actuelle, approximativement une moitié des juges des libertés et de la détention procède à un contrôle de légalité, tandis que l'autre opère un contrôle d'opportunité.

Cela pose la question de l'égalité du justiciable devant la loi.

UNITÉ MAGISTRATS SNM FO estime qu'un choix doit être nécessairement fait et clairement assumé entre un contrôle de légalité et un contrôle d'opportunité. Ce choix est de nature politique et nous considérons qu'il revient au Parlement.

Nous proposons donc dans un premier temps que ce choix soit effectué et que le législateur intervienne pour clarifier ce point.

Dans un second temps, nous formulons deux séries de propositions, selon que le choix opéré porte sur l'une ou l'autre de ces modalités de contrôle.

III. Propositions d'UNITÉ MAGISTRATS SNM FO dans le cadre d'un contrôle d'opportunité

Le contrôle d'opportunité pose une difficulté propre du fait du déficit de connaissance médicale dont souffre un juge qui est juriste et non pas médecin.

Cette difficulté n'est pas propre à la matière médicale puisqu'elle existe également dans certains contentieux techniques.

Elle est traditionnellement résolue par l'échevinage de la juridiction.

L'échevinage est « un système d'organisation judiciaire dans lequel les affaires sont entendues et jugées par des juridictions composées à la fois, de magistrats professionnels, et de personnes n'appartenant pas à la magistrature professionnelle. » (Dictionnaire juridique, Serge Baudo).

Il s'agirait de créer un réel contrôle en opportunité en adjoignant au juge un psychiatre et un professionnel de santé, n'appartenant pas à l'établissement. Cette juridiction collégiale aurait pour mission de déterminer en son âme et conscience si l'hospitalisation est proportionnée à l'état de santé présenté par le patient.

Par ailleurs la réforme à venir des isolements / contention est susceptible de créer des difficultés logistiques majeures pour les juges qui n'auront pas les moyens d'aller voir les patients désirant être entendues.

En effet, si la procédure d'isolement et de contention est en principe écrite, l'audition du patient est de droit s'il en fait la demande, et celui-ci peut refuser qu'elle se passe par visioconférence. Ainsi, le patient peut imposer une audience physique, ce que notre syndicat ne conteste pas.

Néanmoins, UNITÉ MAGISTRATS SNM FO a eu l'occasion de tirer la sonnette d'alarme sur la faisabilité malaisée de cette obligation d'audiences physique dans le cadre d'une justice largement sous-dotée par rapport aux missions qui lui sont confiées.

Ce d'autant que la loi applicable en matière d'isolement et de contention prescrit que ces mesures doivent être utilisées en « dernier recours », critère malaisé à vérifier par un juge en ce qu'il est selon nous un critère plus médical que juridique. Il invite en effet à examiner si le psychiatre avait un autre moyen à sa disposition compte-tenu du tableau psychique présenté par le patient, ce qui peut difficilement être examiné sans connaissances médicales.

Notre organisation considère dès lors que l'échevinage de la juridiction permettrait de faire en sorte que ce soit le psychiatre, et non le juge, qui aille évaluer l'état de la personne si celle-ci demande à être entendue.

Au total, UNITÉ MAGISTRATS SNM FO soutient que cet échevinage permettrait à la fois :

    • de réaliser un contrôle plus proche de celui qu'avait en tête le Conseil Constitutionnel

    • d'assurer un meilleur respect des libertés fondamentales du patient en rendant effective la notion de « dernier recours »

    • de permettre enfin de résoudre l'impossibilité matérielle d'assurer ces déplacements par les juges des libertés et de la détention

IV. Propositions d'UNITÉ MAGISTRATS SNM FO dans le cadre d'un contrôle de légalité

Le cadre d'intervention du juge étant plus modeste, les propositions présentées par notre syndicat sont de moindre ampleur, mais restent de nature à améliorer sensiblement la qualité du contentieux.

Dans l'état actuel du droit positif, le patient est en effet obligé de comparaître devant le juge des libertés et de la détention. Aucun texte ne prévoit en effet la possibilité pour lui de refuser l'audition.

Seul un certificat médical attestant que des motifs médicaux font obstacle, dans son intérêt, à son audition peut y faire obstacle (L 3211-12-2 III).

Or, l'audience dans sa forme actuelle est souvent source de frustration pour le patient qui estime qu'il n'a pas à être hospitalisé.

En effet, même les tenants du contrôle en opportunité sont liés par les constatations initiales faites par les médecins, en vertu de la décision précitée de la Cour de Cassation du 27 septembre 2017.

Il est très difficile pour un patient qui estime avoir été hospitalisé de manière abusive alors qu'il était en parfaite santé d'entendre le juge lui répondre qu'il est lié par les constatations médicales et qu'il n'examine pas ce point. Beaucoup sont dès lors dans l'incompréhension des raisons de leur présence en face du juge.

Certains en déduisent que ce sont eux qui sont jugés. Le juge est alors ressenti par sa présence même comme l'expression d'une stigmatisation.

UNITÉ MAGISTRATS SNM FO considère qu'il est contre-productif, en termes de dignité de la personne, de contraindre un patient qui n'a pas expressément demandé à comparaître devant le juge à assister à l'audience.

Or dans le cadre d'un contrôle de légalité une audience par nature écrite serait envisageable. Le choix de comparaître devant le juge reviendrait dès lors exclusivement au patient.

S'il est en effet légitime que le patient qui souhaite aller à l'audience puisse y avoir accès, nous considérons qu'un contrôle de légalité rend inopportun la présence à l'audience du patient qui ne le souhaite pas, étant observé qu'il est en tout état de cause assisté ou représenté par un avocat.

Une telle réforme permettra en outre d'aligner le régime d'isolement et de contention sur le régime du contentieux à douze jours, car l'adjonction de ce nouveau mode de contrôle crée un système contradictoire, où la présence du patient est facultative dans le cadre des mesures les plus restrictives tandis qu'elle est obligatoire pour la mesure d'hospitalisation moins restrictive.

Enfin, et toujours dans le cadre d'un strict contrôle de légalité, il pourrait être envisagé de porter, en cas de poursuite de l'hospitalisation, les échéances du contrôle de six mois à un an, dans la mesure où le patient a toujours la possibilité de solliciter la mainlevée de la mesure et qu'une fois le principe de l'hospitalisation juridiquement acquis, les causes de mainlevée postérieures sont très rares.

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