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Unité Magistrats FO

Moralisation de la vie publique et "confiance dans notre démocratie"

Recherches, Travaux 15/06/2017

Moralisation de la vie publique et "confiance dans notre démocratie"  - Syndicat Unité Magistrats SNM FO

 

Depuis la loi du 15 janvier 1990 qui a accordé la première amnistie en matière de corruption politique (affaire du Carrefour du développement), la question de la moralisation de la vie publique revient comme une rengaine lancinante. Depuis plus 27 ans, un scandale ne fait qu’en chasser un autre. Malgré les promesses et les déclarations solennelles, la justice reste impuissante comme le montre l’affaire des frégates de Karachi : plus de 20 ans encore après les faits, non seulement personne n’a été jugé, mais le « secret défense » a été constamment utilisé pour empêcher les juges d’instruction d’établir la vérité. Au final, la récente loi du 27 février 2017, qui a créé un délai butoir de 12 ans à compter de la commission des faits en matière de prescription des infractions cachées, fera s’effondrer les poursuites quand les prévenus comparaîtront devant les juges.

 

Une loi de plus sera-t-elle en mesure de purger une bonne fois pour toutes les moeurs politiques de pratiques qui déshonorent la démocratie ? Rien n’est moins sûr. Si elle comprend quelques mesures positives, elle est très loin de garantir la moralisation annoncée. D’abord parce que, comme c’est le cas le plus fréquent, elle ne répond qu’au dernier scandale en date – les emplois présumés fictifs des collaborateurs parlementaires – et, qui plus est, par des dispositifs indirects (financement des partis, non cumul des mandats, interdiction d’emplois des proches...). Il ne ressort de ce patchwork législatif aucune vision globale, ni dispositif d’ensemble.

 

La loi présentée ne sera donc qu’une initiative législative de plus, rapidement oubliée, si elle ne purge pas réellement et profondément la vie publique française. Il existe de nombreux autres chantiers auxquels il faudra s’atteler pour « moraliser » la vie publique ou même, simplement, redonner « confiance » dans le fonctionnement de nos institutions.

 

Le problème n’est pas, en France, celui d’une insuffisance des lois, mais de l’absence de volonté pour les appliquer : pourquoi réglementer encore l’emploi des collaborateurs parlementaires si les textes existants permettent de réprimer les abus frauduleux déjà commis en l’état du droit positif ? Le problème ne vient-il pas de la surveillance (inexistante en raison des connivences) et de la capacité de la justice d’effectuer son travail ? Surtout que, lorsqu’elle donne trop souvent l’impression d’être instrumentalisée (affaires Fillon, Le Pen) ou peu empressée (affaire Ferrand).

 

Les sujets suivants constituent le minimum de ce qui devrait être entrepris dans le cadre d’une première série de changements législatifs :

 

  1. Prescription pénale

 

La loi du 27 février 2017 a introduit subrepticement un délai butoir pour les infractions cachées qui constitue une véritable auto-amnistie. D’ores et déjà, par exemple, l’affaire des frégates de Karachi va se trouver prescrite puisque les faits sont vieux de plus de 12 ans.

 

Le projet de loi doit abroger ce délai butoir qui, par ailleurs, pose de nombreux problèmes juridiques qui compliquent et donc fragilisent les procédures.

 

  1. Privilège de Bercy

 

Il est anormal que le ministère des finances continue d’avoir le monopole des poursuites en matière fiscale. Le « privilège de Bercy » doit purement et simplement être abrogé.

 

  1. Réforme de l’article 40

 

Il n’y aura jamais de changement dans le comportement des administrations et des services publics si l’article 40 du CPP continue d’être « à la discrétion » des personnes qui sont, en théorie, tenues de dénoncer au procureur de la République les crimes et délits dont ils ont eu connaissance dans le cadre de leurs fonctions.

 

La solution consiste donc à créer une infraction pénale (qui entraînera de facto une obligation professionnelle soumise au droit disciplinaire) pour le non respect de l’article 40. Mais surtout, si l’on veut que cette incrimination soit efficace, elle doit être mise à la charge des chefs de services des administrations, qui doivent en être rendus responsables. Par conséquent, FO-Magistrats préconise que tout agent tenu à déclaration en fasse rapport à l’autorité dont il dépend, celle-ci étant responsable pénalement en cas de défaut de transmission au parquet.

 

  1. Loi Sapin 2

 

    1. Lanceurs d’alerte

 

Sous couvert d’un renforcement de la protection des lanceurs d’alerte, la loi Sapin 2 a en réalité exposé ces derniers encore plus qu’auparavant, puisqu’elle leur impose – naïvement ? – de dénoncer d’abord et obligatoirement les faits de corruption... à leur supérieur hiérarchique. On ne peut qu’être consterné d’une telle obligation, sachant que, la plupart du temps, la corruption est une pratique d’entreprise et non une pratique individuelle. Par ailleurs, elle ne peut faire l’objet d’un lancement d’alerte que dans le cas où le pacte corruptif concerne une ou des personnes situées à un niveau hiérarchique plus élevé que le lanceur d’alerte. Dans le cas contraire en effet, celui du subordonné qui s’est livré à un acte de corruption active ou passive que découvrirait un supérieur hiérarchique, il suffit à ce dernier d’utiliser les voies de droit auxquelles ouvrent précisément ses attributions hiérarchiques.

 

    1. Les conditions d’application de la protection

 

Outre l’obligation de porter les faits devant leur supérieur hiérarchique, qui oblige les lanceurs d’alerte à dévoiler leur intention de rendre publique une accusation de corruption au sein de l’organisme privé ou public dans lequel ils travaillent, d’autres conditions rendent inopérante la prétendue protection qui leur serait apportée. En particulier, le fait que celle-ci n’est due que si le lanceur d’alerte est désintéressé et de bonne foi. Ces exigences très vagues peuvent conduire à refuser à n’importe qui la protection. Comment peut-on également prétendre respecter l’anonymat si la première obligation du lanceur d’alerte est de prévenir sa propre hiérarchie ?

 

    1. L’absence de protection par une disposition pénale

 

Seule une sanction pénale contre les auteurs de représailles, sous quelque forme que ce soit (harcèlement, dénigrement, licenciement, mesures disciplinaires, etc.) sera également de nature à apporter une véritable protection au lanceur d’alerte.

 

La procédure devrait donc être l’inverse de celle qui a été prévue : le lanceur d’alerte devrait saisir le Défenseur des droits pour lui présenter les faits qu’il entend dénoncer. Après étude de ces faits, le Défenseur des droits déciderait s’il accorde ou non la protection de lanceur d’alerte et il dénoncerait les faits au parquet. La protection accordée au lanceur d’alerte serait alors notifiée à l’organisme, qui ne pourrait prendre aucune mesure de rétorsion sous peine de poursuites pénales et d’annulation des actes préjudiciables commis à l’encontre du lanceur d’alerte.

 

    1. Indépendance et l’Agence française anticorruption (AFA) et augmentation de ses moyens

 

4.21 Indépendance de l’AFA

 

L’AFA doit être érigée en Autorité administrative indépendante, ce qui est une condition minimale d’indépendance. Le délit d’entrave doit être sanctionné de peines d’emprisonnement.

 

4.22 Moyens d’enquête de l’AFA

 

L’AFA ne dispose d’aucun moyen d’investigation. Il conviendrait de la rapprocher de l’Office central de lutte contre les infractions financières (OCLCIF) et de renforcer considérablement les moyens de ce dernier.

 

Ce rapprochement pourrait se faire en accordant le droit à l’AFA de déclencher des enquêtes conduites par l’OCLCIF sous la responsabilité du parquet ou du juge d’instruction et d’avoir accès au dossier de la procédure comme partie co-poursuivante, selon un régime comparable à celui des douanes dans les procédures douanières.

 

4.23 Convention judiciaire d’intérêt public

 

Une CJIP ne devrait pouvoir être conclue que sous réserve de poursuite pénale contre les personnes physiques responsables des faits.

 

Par ailleurs, le non respect du programme de mise en conformité devrait être assorti de sanctions pénales réellement dissuasives et notamment prévoir la ou les personnes responsables de l’exécution du programme qui seraient pénalement responsables, au même titre que la personne morale.

 

Devrait être ajoutée aux sanctions pénales l’interdiction d’exercer des personnes condamnées.

 

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