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Unité Magistrats FO

L'autonomie budgétaire de l'autorité judiciaire

Recherches, Travaux 12/06/2017

L'autonomie budgétaire de l'autorité judiciaire  - Syndicat Unité Magistrats SNM FO

FO-Magistrats a été auditionné par le groupe de travail créé par la Cour de cassation sur l'autonomie budgétaire de l'autorité judiciaire.

 

Notre syndicat soutient fortement l'idée d'une autonomie budgétaire qui alignerait l'autorité judiciaire - la seule dont l'indépendance est garantie par la Constitution - sur les juridictions financières et administratives. Mais cette autonomie ne saurait se faire sans être accompagnée d'une profonde réforme de l'organisation judiciaire et de la création d'un Conseil supérieur de la justice en remplacement de l'actuel Conseil supérieur de la magistrature.

 

Vous trouverez ci dessous la note remise au groupe de travail.

 

L’autonomie budgétaire de l’autorité judiciaire :

enjeux, obstacles et perspectives

 

 

FO-Magistrats se réjouit de la réflexion initiée par la Cour de cassation sur les conditions de l’indépendance judiciaire vue sous l’angle de l’autonomie budgétaire. Toutefois, il ne faut pas se dissimuler que cette perspective se heurte, et continuera de se heurter, à de fortes résistances. Les unes viennent des inquiétudes ancestrales que fait naître l’idée même de l’indépendance de la justice – rapidement assimilée à une tentation de reconstituer les parlements de l’Ancien Régime ou, plus généralement, d’instaurer un « gouvernement des juges ». D’autres naissent des orientations nouvelles qui se sont dessinées en faveur de la recomposition de l’État depuis la LOLF et la RGPP, autour des concepts d’ « interministérialité » ou de « réforme de l’administration territoriale de l’État » (RéATE) et qui impliquent une reconcentration dont les effets commencent à se faire nettement sentir sur la justice. D’autres enfin sont liées à un jugement péjoratif sur les capacités de la justice judiciaire de faire face aux enjeux du monde contemporain, notamment en matière d’ordre public et de sécurité.

 

Il ne suffit pas, par conséquent, de se reposer sur les principes de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de la justice pour espérer convaincre du bien fondé d’une autonomie financière et budgétaire de la justice. Il faut prendre au sérieux, car elles sont puissantes, les forces qui s’allient pour banaliser, au contraire, la justice au sein de l’appareil d’Etat et la ramener à une administration ordinaire, voire subsidiaire. Ces forces fédèrent des visions de la justice qui n’ont rien de commun entre elles, mais qui convergent pour lui refuser toute forme d’émancipation envers le pouvoir exécutif : que ce soit au nom des vieilles peurs que soulèvent les juges, de la rationalisation de l’action de l’État ou de l’imprévisibilité des décisions judiciaires et de l’insécurité juridique qu’elle provoque, les arguments fleurissent pour aboutir à la conclusion que la justice ne doit pas disposer de davantage d’autonomie, d’indépendance ou de pouvoir qui accroîtraient sa place et son rôle parmi les instances de régulation publique.

 

C’est pourquoi, FO-Magistrats entend faire porter d’abord ses observations sur les obstacles à l’autonomisation financière de la justice, en les examinant tour à tour à partir des trois formes de résistance identifiées : la crainte d’un « gouvernement des juges », la reconcentration dans une perspective d’interministérialité et de rationalisation et enfin le besoin pour la justice de démontrer l’utilité et l’efficacité que lui procurerait une indépendance bien conçue, sans être antinomique d’une rationalisation de son fonctionnement.

  1. LES OBSTACLES À L’INDÉPENDANCE ET À L’AUTONOMIE FINANCIÈRE

 

2. Les craintes soulevées par l’indépendance de la justice

 

Il convient tout d’abord de préciser ce que recouvre la notion d’indépendance de la justice. On peut en distinguer trois niveaux :

 

  • Le premier est celui de la décision du juge, qui doit être soustraite à toute influence, quelle qu’elle soit. Cette première forme élémentaire d’indépendance est celle à laquelle on se réfère implicitement, mais exclusivement, dans le modèle français en affirmant qu’elle est institutionnellement garantie. Rien n’est pourtant moins sûr, en dehors des apparences. Si le juge dispose du droit individuel de se déporter dont il n’a pas à rendre compte quand il estime, en conscience, devoir s’abstenir dans une instance, la seule protection statutaire et fonctionnelle concrète dont il dispose est celle de l’inamovibilité. Cette garantie est en réalité entendue de façon extrêmement réductrice, dans la mesure où, d’une part, de nombreuses fonctions sont désormais assujetties à une mobilité statutaire obligatoire (7 ou 10 ans) et où, d’autre part, elle ne porte que sur le risque de mutation sur une autre fonction statutaire ou dans une autre juridiction. Mais elle n’accorde pas de protection fonctionnelle solide au sein de la juridiction pour les juges spécialisés : un juge d’instruction peut se voir ajouter des services annexes chronophages qui l’obligent à négliger son cabinet (on peut aussi sélectionner les dossiers qui lui sont confiés, le priver de greffier, etc.). Quant au juge du siège « pur », il est encore moins épargné : il peut être dessaisi de ses attributions au seul gré de son chef de juridiction, sans motivation et par une simple mesure d’administration judiciaire. Même si cette mesure est une atteinte directe à son indépendance, le magistrat ne dispose ainsi d’aucun recours effectif, par exemple auprès du CSM, quand il estime que son indépendance est attaquée ou compromise. Plus indirectement mais plus globalement, le monopole de présentation des candidatures de la DSJ au CSM pour la plupart des fonctions judiciaires constitue, par l’incitation à ne pas déplaire, une pression permanente sur la carrière. A quoi s’ajoute la jurisprudence du CSM lui-même, qui privilégie la mobilité dans les critères d’avancement, obligeant ainsi les magistrats à présenter un profil « lisse » pour être bien placés dans la course à l’avancement.

 

  • Le deuxième niveau est donc celui de la protection des conditions d’exercice du magistrat, qui devraient lui garantir une réelle indépendance à l’égard de son environnement professionnel. En d’autres termes, c’est l’organisation même des juridictions qui devrait être revue car la magistrature est structurée comme un corps militarisé et hautement hiérarchisé. Les chefs de juridiction ont tout pouvoir, que ce soit pour la gestion de la juridiction ou l’organisation du service des magistrats, eux-mêmes administrativement considérés comme de simples subordonnés sans droits. Ainsi, l’indépendance ne pourra être assurée au quotidien, quelles que soient les modalités prévues aux deux autres niveaux, que si l’organisation judiciaire abandonne ses structures hiérarchiques et autoritaires et prévoit de fortes garanties dans la gestion des juridictions et l’organisation des services.

 

  • Le troisième niveau est celui, auquel se situe le groupe de travail, de l’autonomie des juridictions en tant qu’entités disposant de la capacité de s’administrer elles-mêmes et non d’être gérées par le pouvoir exécutif. Cette capacité permettrait de garantir l’indépendance de l’institution judiciaire en tant que telle, tout en la maintenant soumise, bien évidemment, aux règles du droit budgétaire et au contrôle externe de son fonctionnement. Pour FO-Magistrats, cette autonomie (qui n’est donc pas en soi une complète indépendance) est une condition nécessaire, mais non suffisante si les deux autres niveaux ne sont pas effectivement garantis et protégés. Elle est la clé de voûte d’une organisation judiciaire qui assurerait pleinement, parce qu’à tous les niveaux où la question se pose, l’indépendance et la séparation des pouvoirs prévues par la Constitution.

 

Nos propositions tiendront donc compte de la nécessité de maintenir liés l’ensemble des aspects qui concourent à l’indépendance de la justice et notamment du fait que cette autonomie financière ne pourrait être conçue « toutes choses égales par ailleurs ». Une telle réforme n’aurait de sens qu’en articulation avec une profonde réforme de l’organisation judiciaire, dans toutes ses dimensions et avec la création d’un véritable Conseil de la justice en remplacement du Conseil supérieur de la magistrature..

 

2. Le mouvement de reconcentration de la justice

 

Une révolution silencieuse s’accomplit dans l’organisation de l’État depuis la LOLF, promulguée en 2001 et entrée en application en 2006, accompagnée ou suivie d’autres dispositifs complémentaires comme la RGPP, la MAP, la RéATE, le RIFSSEP et le PPCR (décret du 27 avril 2017 rendant le protocole applicable à la magistrature à compter du 1er janvier 2017).

 

Les milieux judiciaires ont porté peu d’attention à ces accumulations et successions de réformes de l’État car elles ont eu jusqu’à présent un impact plus limité (et, dans certains cas, plus tardifs) sur la justice qu’ailleurs. Si les cours et tribunaux ont été intégrés dans la LOLF comme tous les autres services de l’État – et donc tenus de se soumettre aux impératifs de « performance » qui sont devenus les premiers critères de l’action de l’État –, ils avaient été plus ou moins épargnés par l’application des autres réformes concernant tant les administrations centrales que les services déconcentrés. Du moins en apparence, car la justice n’a pas échappé pendant plusieurs années aux retombées des politiques de baisse des effectifs et de restriction des recrutements qui ont provoqué de graves distorsions dans la gestion du corps, ni aux politiques d’austérité dont elle n’a pas forcément pris conscience tant elle se confond avec la pénurie de moyens qui fait partie de son ordinaire depuis toujours. L’augmentation du budget de la justice, même durant les années de vache maigre, est loin d’avoir d’abord profité aux juridictions et la comparaison entre le traitement réservé à la justice judiciaire et celui dont ont bénéficié les juridictions administratives est éloquente.

 

Il est vrai néanmoins que la justice s’est trouvée, jusque récemment, relativement à l’écart des nouveaux modèles d’interministérialité, de transversalité et d’interchangeabilité, dont l’objectif commun est de viser une réorganisation des services centraux et des services déconcentrés pour permettre une meilleure « fluidité » et une plus grande « souplesse » dans la gestion des moyens administratifs et, en particulier, des corps de la fonction publique. L’un des buts affichés est sinon d’unifier les statuts (effectivement très inégaux) de la fonction publique, du moins de les décloisonner le plus largement possible pour faciliter l’interchangeabilité des agents, dans une perspective de transversalité et de rationalisation managériale. On comprend pourquoi la magistrature, avec son statut particulier, ne pouvait être assimilée purement et simplement aux autres administrations, raison pour laquelle les magistrats n’ont d’ailleurs pas vu venir la manière dont les objectifs en question commencent aujourd’hui à s’imposer1.

 

Pourtant, cette évolution n’était pas dissimulée, elle n’a simplement pas été perçue. On trouve par exemple exposé, dans une note du Conseil de modernisation des politiques publiques du 12 décembre 20072, nombre de réformes qui ont vu le jour dans la décennie qui a suivi : parmi les axes de modernisation de l’appareil judiciaire, figurait explicitement « comme pour l’ensemble des ministères, une amélioration de l’organisation du ministère de la justice, tant en administration centrale qu’en services déconcentrés ». Pour y parvenir, cette même note annonçait donc, entre autres, une réorganisation de l’administration centrale et des services déconcentrés et la fusion des trois inspections dans une unique inspection générale « afin de favoriser le décloisonnement des différentes directions ». Seul ou presque, en fin de compte, le calendrier souhaité n’a pas été respecté et a pris plus de temps que prévu, puisque la création de l’IGJ date de la fin de 2016 et la réorganisation du ministère d’avril 2017.

 

Concrètement, il existe par conséquent un vaste mouvement – peu conceptualisé et mal connu dans les milieux judiciaires, mais très actif – à l’origine d’une nouvelle doctrine budgétaire et administrative de l’État, principalement impulsé et porté par la Cour des comptes3. Il se caractérise par une conception beaucoup plus rassemblée des services et des moyens administratifs, en vue de concentrer l’action de l’État sur les modes de l’interministérialité, de la transversalité et de l’interchangeabilité, pour mettre fin à la fois à la dispersion décisionnelle, institutionnelle et fonctionnelle et à la dilution des responsabilités administratives, le tout dans une perspective forte d’économie, voire de réduction des moyens. Cette reconcentration répond en fait au mouvement inverse de décentralisation, l’État cherchant à ramasser ses propres ressources pour les raffermir et être plus opérationnel avec des capacités moindres, face à la montée en puissance des collectivités territoriales et notamment des régions. Au niveau central, les administrations se concentrent en donnant aux secrétaires généraux le rôle de coordinateur interministériel, ce rôle étant dévolu dans les services déconcentrés de l’Etat aux préfets de région.

 

La justice a été tenue dans un premier temps plutôt à l’écart. Elle est, au niveau central, une administration relativement isolée, gérée assez largement en vase clos : l’interministérialité concerne surtout les programmes immobiliers (juridictions, établissements pénitentiaires), qui étaient traités en direct avec France Domaine. On pourra voir au moins comme une convergence chronologique symbolique la transformation de France Domaine en « direction de l’immobilier de l’État » rattachée à la DGFIP (décret et arrêté du 19 septembre 2016) et la volonté ministérielle du garde des sceaux de lancer un vaste programme de construction de places de prison (annonce faite le 20 septembre 2016). Quelques mois plus tard, on verra aussi une reprise en main directement par la chancellerie d’un programme comme la construction du futur TGI de Paris, significative de ce mouvement de reconcentration.

 

Bien entendu, l’esprit de la RGPP et de la RéATE ne pouvait se traduire directement et sans nuances dans l’administration judiciaire, sans poser des problèmes institutionnels ni prendre de risques politiques. C’est pourquoi on assiste à une forme plutôt insidieuse et détournée de reconcentration au sein du ministère de la justice, qui s’opère par touches successives et sans transparence. On relèvera ainsi des initiatives règlementaires, présentées séparément, dont tout laisse à penser qu’elles ont été conçues et programmées de façon cohérente mais mises en œuvre distinctement, bien qu’une analyse objective montre qu’elles relèvent d’une même logique. Ces initiatives ne peuvent toutefois, par nature, être dissimulées – seuls l’étant les mobiles qui les inspirent – ce qui n’est pas le cas d’autres évolutions qui s’accomplissent plus discrètement dans les juridictions.

 

2.1 Des évolutions réglementaires coordonnées dont la cohérence apparaît volontairement occultée

 

2.11 La création de l’IGJ, mise en oeuvre d’une logique interministérielle préconisée par la Cour des comptes

 

La publication du décret du 5 décembre 2016 créant l’inspection générale de la justice (IGJ) en remplacement de l’inspection générale des services judiciaires (IGSJ) s’est faite à la surprise générale, son contenu n’ayant fait l’objet d’aucune concertation avec les instances de représentation institutionnelles ni avec les organisations syndicales de magistrats. Son aspect le plus spectaculaire a été l’assujettissement de la Cour de cassation, au même titre que l’ensemble des autres juridictions de l’ordre judiciaire, aux contrôles de l’IGJ. Mais avant tout, la vraie nature de cette réforme se lit dans le statut de cette dernière, qui correspond aux préconisations de la Cour des comptes dans le sens d’une banalisation de la fonction judiciaire.

 

Dans un référé du 30 avril 2015, la Cour des comptes écrivait en effet : « Les inspections devraient pouvoir porter sur toute l'étendue de la chaîne judiciaire. Une approche globale aurait du sens dans bien des cas et justifierait des enquêtes associant magistrats, greffiers en chef, inspecteurs issus de la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) et de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ). (...) Il serait cohérent qu'à la mission Justice corresponde, pour le ministère, une inspection générale unique. Le décloisonnement de l'inspection générale elle-même en serait facilité. La transversalité au sein de l'administration centrale, dont le ministère a un impérieux besoin, se trouverait singulièrement renforcée ».

 

En termes plus directs, la Cour des comptes recommandait fortement d’intégrer la « chaîne judiciaire » – c’est-à-dire les formations juridictionnelles – dans une approche uniforme de la fonction d’inspection au nom d’une « transversalité » et d’une unité qui, se limitant explicitement dans ce référé à l’administration centrale, doit descendre de facto jusque dans les juridictions. Le décret lui-même a d’ailleurs ouvertement et très largement étendu encore cette transversalité applicable aux juridictions au plan interministériel puisque son article 6 dispose que « l'inspection générale peut également recevoir du Premier ministre toutes missions (d'information, d'expertise et de conseil ainsi que toute mission d'évaluation des politiques publiques, de formation et de coopération internationale). Le garde des sceaux peut autoriser l'inspection générale à effectuer ces missions à la demande d'autres ministres, de juridictions administratives et financières, de juridictions internationales, de personnes morales de droit public, d'autorités administratives indépendantes, d'organismes publics, de fondations ou d'associations, d'Etats étrangers, d'organisations internationales ou de l'Union européenne. »

 

2.12 La réforme de l’organisation du ministère de la justice, alignement sur le modèle de l’« interministérialité »

 

La toute récente réforme du ministère de la justice, qui résulte d’un décret du 27 avril 2017, confirme expressément ces orientations puisque la notice de ce décret mentionne  qu’« il poursuit le double objectif d'ajuster les compétences du secrétariat général du ministère de la justice aux exigences des textes interministériels relatifs aux secrétariats généraux des ministères et de répondre aux attentes des directions du ministère de la justice en termes de qualité de service rendu et de développement des capacités de pilotage stratégique et de coordination transversale. »

 

Si les attributions du secrétariat général ne s’étendent pas aux domaines de compétence de la DSJ spécifiques au corps de la magistrature, il n’en reste pas moins qu’il renforce l’emprise de la chancellerie sur les services centraux et sur l’ensemble des politiques qui concernent autant ces derniers que les services déconcentrés que sont les cours et les tribunaux. Ainsi, les conférences nationales des premiers présidents et des procureurs généraux ont-elles fait part, dans un courrier du 15 mars 2017 au garde des sceaux, d’une part de leur regret en « l’absence de toute véritable concertation avec les chefs de cour sur des questions pourtant essentielles touchant à l’administration et à la gestion des juridictions judiciaires » ainsi que, d’autre part, de leur inquiétude sur des « dispositions de plus en plus nombreuses venant remettre en cause l’autonomie budgétaire des juridictions et contraires aux dispositions des articles R 312-65 et suivants du code de l’organisation judiciaire qui confient aux seuls chefs de cour, institués conjointement ordonnateurs secondaires, l’administration des services judiciaires dans leur ressort. » De la même manière, les organisations syndicales ont été informées après le bouclage du projet de décret et n’ont disposé que d’un temps très restreint pour l’examiner et donner un avis qui n’était sollicité que pour la forme.

 

Autant dire que cette réforme, destinée à renforcer les compétences et les attributions du secrétaire général, a non seulement été menée au pas de charge et avec un minimum de consultation, mais qu’elle semble ne s’être guère embarrassée du respect des règles budgétaires existantes et du « dialogue social », ce qui laisse présager l’esprit dans lequel non seulement elle a été conçue, mais elle devra être mise en oeuvre et appliquée. On peut également, à cet égard, s’interroger sur sa concomitance avec la mission du groupe de travail de la Cour de cassation, dans la mesure où elle a pour effet de « verrouiller » le dispositif qui conforte une gestion hyper-centralisée entre les mains du secrétaire général avant même que le groupe de travail n’ait pu rendre ses conclusions et, plus encore, avant que tout débat n’ait pu être ouvert sur cette question.

 

S’il ne faut pas nier la nécessité de rationaliser l’action administrative, ni d’ailleurs rejeter la notion d’interministérialité qui contient des aspects positifs, il n’en reste pas moins que la publication hâtive, en fin de mandat ministériel, du décret d’organisation du ministère de la justice, a eu à l’évidence pour objectif de créer un fait accompli contre lequel il sera très difficile de revenir et que cette nouvelle organisation fait peu de cas des compétences déconcentrées des ordonnateurs secondaires. Le problème posé est par conséquent que les propositions éventuelles de la Cour de cassation en faveur de l’autonomisation financière vont se heurter à une réforme inverse de reconcentration dont il ne faut pas douter qu’elle va être rapidement et énergiquement mise en œuvre, avec l’approbation et le soutien actif de la Cour des comptes.

 

2.2 Des évolutions dans les juridictions qui accentuent également la concentration du pouvoir en haut de la hiérarchie et une approche purement productiviste de la justice

 

Si les conférences des chefs de cour se plaignent que ces derniers soient dépossédés de leurs attributions financières par la chancellerie, cela participe paradoxalement d’un mouvement plus ample de renforcement pyramidal dont les chefs de cour sont tout de même, dans les autres domaines, les bénéficiaires et les principaux acteurs. En faisant des chefs de cour les seuls ordonnateurs secondaires dans les juridictions, la LOLF avait déjà remonté vers le haut le niveau décisionnel en matière financière et consacré la « verticalité » de la gestion budgétaire, puisqu’elle avait consacré la désignation des chefs de cours d’appel (elles-mêmes choisies en 1996 comme l’échelon pertinent de déconcentration) comme ordonnateurs secondaires en remplacement des préfets à partir de 2004.

 

Ce mouvement de concentration s’est accentué avec la création des pôles CHORUS qui, en métropole, ont regroupé les 36 SAR sur 18 plateformes (6 cours d’appel ayant un pôle autonome, les 12 autres étant rattachées à des pôles communs). A quoi on peut ajouter que, pour les départements et collectivités d'outre-mer, le traitement des dépenses a été regroupé à la même époque au sein de plateformes inter-directionnelles du ministère de la justice dénommées « centres de services partagés » (CSP). Comme le souligne le rapporteur de la Commission des lois du Sénat sur le projet de loi de finances pour 2013, « la RGPP a accentué ce mouvement puisqu'elle a imposé la mise en place de neuf plateformes de service interrégionales communes aux trois administrations de la justice : services judiciaires, administration pénitentiaire et protection judiciaire de la jeunesse. L'objectif poursuivi par le ministère de la justice était la mutualisation de certaines fonctions supports. » L’objectif annoncé était de rattacher les pôles CHORUS à ces plateformes placées sous l’autorité directe du secrétaire général du ministère, les budgets opérationnels du programme (BOP) 166 (justice judiciaire) devant y être regroupés. La levée de boucliers qu’avait provoquée ce projet, notamment chez les chefs de cour, avait conduit à son abandon sous cette forme, 14 cours d’appel étant élevées au rang de BOP interrégional, les 23 autres étant limitées à celui d’unité opérationnelle (UO). Il reste à savoir si la réforme actuelle du ministère ne va pas y conduire subrepticement, comme tout semble l’indiquer.

 

Ici encore, le problème posé n’est pas l’objectif de rationalisation des procédures budgétaires et financières, mais celui des structures chargées de la gestion des juridictions. L’état d’esprit qui anime les réformes ou les tentatives de réforme est toujours le même : ramener la gestion des juridictions dans le giron ou sous la houlette du secrétariat général et, concomitamment, les priver de la maîtrise de leurs ressources, dans l’unique souci de « verticaliser » la gestion budgétaire et financière.

 

Bien que cela se situe dans un autre domaine que budgétaire et financier, on ne peut passer non plus sous silence, dans la réforme de l’organisation du ministère qui vient d’être adoptée, le rôle accru donné à la DPJJ sur les juridictions. Si le décret de 2008 plaçait déjà celles-ci sous une surveillance étroite de l’administration centrale en matière pénale, c’est désormais l’assistance éducative qui sera pilotée dans les juridictions depuis la chancellerie.

 

C’est pourquoi, la question budgétaire et financière ne saurait être dissociée d’aspects beaucoup moins quantitatifs que qualitatifs dans ce qui concerne ensuite le fonctionnement de la justice. De façon générale, la logique de performance qui domine et commande, depuis la LOLF, toute l’action administrative a été étendue à l’action judiciaire, selon des indicateurs qui assujettissent l’évaluation de la qualité décisionnelle à des critères exprimés principalement en termes de stocks et de flux moyens (et non individualisés selon les juridictions ou les circonstances locales), de « production », de célérité et de coût. Si l’on peut admettre, là encore, que l’objectivation exige la mise en place d’indicateurs chiffrés, il n’en demeure pas moins que le mode de gouvernance qui est effectivement mise en oeuvre passe ensuite par la manière dont ces marqueurs sont analysés et utilisés. C’est ici qu’est la pierre d’achoppement du système centralisé de la justice, en dehors de toute autre considération de principe sur l’indépendance judiciaire. Cette concentration et cette verticalisation, qui ne cessent de faire remonter le plus haut possible la gouvernance et la gestion de la justice (via notamment les chefs de cour) n’est pas la solution aux problèmes de la justice, elle en constitue au contraire le problème.

 

Comme le soulignait déjà, en effet, le rapport Marshall, «  aucun organisme n’est en mesure de faire la synthèse des données démographiques, géographiques, sociales et judiciaires qui sont collectées et produites d’une manière dispersée, alors que ce travail d’analyse permettrait aux juridictions et aux services centraux d’anticiper sur les missions et les organisations destinées à y répondre4 », ce qui veut dire clairement que les indicateurs de la LOLF ne sont d’aucune utilité en termes de gestion, malgré leur apparente neutralité, et que la chancellerie ne dispose d’aucune cellule – en tout cas sérieuse – d’audit, d’analyse et de prospective. On retrouve la même critique à peine voilée, s’adressant cette fois-ci directement à la LOLF, toujours sous la plume de M. Marshall : « Si les objectifs de performance ont conduit à mieux prendre en compte les stocks de procédures, et les délais de traitement, il est devenu urgent de développer aussi une culture de qualité fondée sur des organisations et des pratiques redonnant du sens à l’intervention judiciaire tout en améliorant le service public5 ». La qualité du rédacteur de ces lignes suffit à accréditer son propos et à donner une force et un sens particuliers au constat péjoratif qui le sous-tend implicitement.

 

S’il le fallait encore, on pourrait aboutir à ce même constat à partir d’autres indicateurs, certains étant d’ailleurs aussi mesurables mais ne figurant pas parmi ceux de la LOLF, comme le turn over judiciaire : en 2015, 31,4% des magistrats ont changé de fonction, pourcentage en progression constante d’année en année. Cette rotation peut être attribuée à deux causes, plus complémentaires que contradictoires : la première est la politique de mobilité forcée du CSM, la seconde est la croissance de l’insatisfaction individuelle qui pousse les magistrats à changer fréquemment de fonctions ou de juridictions. Dans un cas comme dans l’autre, cette sur-mobilité est l’indice d’une gestion défectueuse du corps, voire d’un profond malaise et même d’une crise qui, pour être sourde, n’en est pas moins partout présente. On peut penser d’ailleurs que d’autres critères pourraient être utilisés, comme les arrêts de travail des personnels judiciaires ou même le nombre de postes non pourvus en juridiction (une partie provenant de la pénurie de magistrats, l’autre de désaffections envers certaines juridictions ou certaines fonctions).

 

Or cette crise ne peut que s’aggraver du fait de la gouvernance centralisée devenue aujourd’hui la doctrine du ministère de la justice. Celle-ci induit mécaniquement des gestions de plus en plus autoritaires puisque les chefs de cour, « responsables » des BOP, ne sont évalués que par les résultats quantitatifs qu’ils peuvent présenter en fin d’exercice comptable (on rappelle que les chefs de cour ne sont pas personnellement évalués comme les autres magistrats). Il leur faut par conséquent – particulièrement dans un régime endémique de pénurie des effectifs et des moyens – veiller au maintien d’une productivité qui repose avant tout sur une discipline sans faille chez les exécutants. Les organisations syndicales sont les témoins impuissants du durcissement hiérarchique auquel conduit, sur l’ensemble de la chaîne hiérarchique, le désir de satisfaire à des objectifs de production et même de productivisme judiciaire imposés par les performances attendues d’exigences purement comptables. Elles ne peuvent que déplorer la dégradation régulière des conditions de vie et de travail des magistrats qui en résulte, sans parler de l’abaissement que cela représente pour la fonction juridictionnelle, les magistrats tendant à devenir de simples agents d’exécution d’une production judiciaire de masse. FO-Magistrats, à cet égard, a été le premier syndicat de magistrats à avoir tiré la sonnette d’alarme sur la « souffrance au travail », expression qui renvoie en réalité à une maltraitance institutionnelle bien plus vaste qui est directement produite par les mécanismes ici décrits.

 

3. Les interrogations sur les missions et le périmètre de la justice

 

Ce tour d’horizon ne serait donc pas complet et nos propositions en faveur d’une autre organisation judiciaire n’auraient guère de sens, si l’on ne remettait la question budgétaire et financière – qui concerne les moyens – en perspective avec les buts qu’on assigne à la justice. On serait presque tenté de dire, à cet égard, que le mode d’organisation qui tend à renforcer la concentration du pouvoir entre les mains du secrétaire général du ministère de la justice est d’abord la démonstration que l’on n’attend rien de la justice, sinon qu’elle ne crée pas de problèmes et qu’elle soit entièrement « sous contrôle ». Mais aussi, voire surtout, que les évolutions de ces dernières années ont contribué à placer les moyens au seul rang des préoccupations et à inverser ainsi la logique de l’institution judiciaire, tenue d’adapter ses fins à ses moyens et non l’inverse.

 

C’est pourquoi, bien que ce groupe de travail ne soit pas le lieu pour s’y attarder, on ne saurait passer sous silence la question du rôle de la justice judiciaire ni la crise profonde qu’elle traverse, qui ne résulte pas seulement, loin s’en faut, de l’indigence de ses moyens humains et matériels. En réalité, la méfiance séculaire à son encontre a paralysé toute réflexion sereine, les évolutions de ces dernières années ont même aggravé sa situation au sein des autres institutions de l’État. En dehors des discours convenus, on ne rencontre en effet aucune volonté d’affronter de face tout ce qui s’oppose, précisément, à ce que les dithyrambes élogieux tenus dans les enceintes officielles sur la fonction du juge trouvent une quelconque concrétisation dans la vie réelle. Bien au contraire, on ne cesse d’assister à une réduction du périmètre naturel du juge judiciaire, qui est en revanche de plus en plus sollicité dans des domaines où sa plus-value est discutable, quand elle est même identifiable.

 

En clair, les domaines qui intéressent directement l’ordre public et la sécurité – avec toutes leurs incidences – lui échappent de plus en plus, comme l’ont illustré les lois « renseignement », « terrorisme » ou « état d’urgence », tandis qu’il est abondamment appelé à intervenir dans les secteurs dégradés de la vie sociale où les autres instances de l’État ont échoué ou sont défaillantes. On lui demande alors de restaurer, en faisant du « sur-mesure », des équilibres sociaux compromis qu’il n’a pourtant pas vocation à résoudre, en même temps qu’on lui impose d’évacuer les flux et de vider les stocks de procédures qui le submergent en faisant du traitement de masse. Devant autant d’injonctions contradictoires, qui se résument à produire du sur-mesure de masse, on ne peut qu’approuver la recommandation du rapport Marshall de « passer d’une logique de production à une logique de qualité », ce qui reste tout de même plus facile à dire qu’à faire (preuve en est que la loi « Justice du XXIe siècle » s’est abstenue de donner corps à ce voeu) et ne pourra en tout état de cause être fait qu’au terme d’une profonde réforme capable de donner aux juridictions d’autres ambitions que la satisfaction des indicateurs de performance de la LOLF.

 

  1. LES PROPOSITIONS DE FO-MAGISTRATS

 

  • FO-Magistrats est inconditionnellement partisan d’une autonomie budgétaire et financière de la justice, à la fois pour les raisons de principe exposées ci-dessus, et pour des raisons d’efficacité. Si l’organisation judiciaire a pu, durant deux siècles, être administrée sur un mode militaire, les réalités du monde actuel ne permettent plus de maintenir une structure pyramidale et hiérarchique rigide mise au service d’indicateurs de performance exclusivement productivistes, avec les conséquences qui ont été décrites. Cette remarque vaut, bien entendu, aussi bien pour l’activité civile des cours et tribunaux que pour leur activité pénale. Il conviendrait par conséquent que l’autonomisation financière soit accompagnée d’une réflexion sur la nature des objectifs et des indicateurs de performance assignés aux juridictions.

 

Les indicateurs actuels sont en effet particulièrement indigents :

 

  • L’objectif n° 1 (améliorer la qualité et l’efficacité de la justice) ne s’attache qu’à des données quantitatives en termes de flux, de stocks et de durée de traitement ou à des critères qualitatifs discutables (par exemple le taux de cassation),

  • L’objectif n° 2 (rendre plus efficaces la réponse pénale, l’exécution et l’aménagement des peines) est peu opératoire, étant souligné notamment que, dans l’exercice 2016, les indicateurs 2.3 (taux de mise à exécution des peines) et 2.4 (délai moyen de mise à exécution) n’ont même pas été renseignés sans que cela n’emporte d’ailleurs aucune conséquence,

  • L’objectif n° 3 (moderniser l’action de la justice) comportent des indicateurs dont l’utilité n’apparaît guère.

 

  • L’autonomie financière aurait d’autres avantages annexes, comme celui de constituer, pour le vote de chaque budget, une opération « vérité » sur les rapports entre les besoins et les ressources des cours et tribunaux, avec une meilleure visibilité et une plus grande lisibilité. Il ne serait plus possible en particulier de noyer les juridictions parmi les autres programmes « justice ».

 

  • La mission « Justice », qui regroupe actuellement dans l’ensemble de ses programmes les budgets affectés aux juridictions, devrait par conséquent être scindée avec la création d’une mission « Justice judiciaire » dont les programmes ne concerneraient que la gestion des activités judiciaires strictement dites, à savoir :

 

    • la Cour de cassation

    • les cours et tribunaux

    • l’Ecole nationale de la magistrature

    • le futur Conseil supérieur de la justice qui devrait être créé en remplacement du Conseil supérieur de la magistrature, en particulier pour la gestion autonome de la mission « Justice judiciaire ».

 

S’agissant de l’Inspection générale de la justice, FO-Magistrats en a contesté la création par le décret du 5 décembre 2016 en raison du fait qu’il place précisément le fonctionnement des juridictions sous le contrôle direct et exclusif du garde des sceaux. Que le décret soit ou non annulé, l’IGJ devrait donc relever d’un programme de la mission « Justice judiciaire » pour tout ce qui concerne les compétences d’inspection des juridictions (Cour de cassation, cours d’appel et tribunaux).

 

La question se pose, bien entendu, de savoir qui, de la Cour de cassation ou du CSM, serait de droit le responsable du programme « Justice judiciaire ». Pour FO-Magistrats, l’existence d’une instance indépendante déjà en charge d’une partie du fonctionnement de la justice (carrières, discipline, déontologie) la désigne tout naturellement pour être responsable du programme, représentée par son président. Cette solution apparaît de loin préférable à celle qui donnerait les attributions de gestion à la Cour de cassation, pour plusieurs raisons.

 

Tout d’abord, il n’entre pas dans la vocation naturelle de la Cour de cassation – ni dans la tradition républicaine – que celle-ci gère l’ensemble du budget des juridictions. Une telle revendication serait certainement très mal perçue politiquement, les craintes politiques liées à l’indépendance de la justice demeurant toujours très vives. Même si, techniquement, la Cour de cassation devrait se voir attribuer les moyens matériels, fonctionnels et humains de cette responsabilité, on peut penser qu’elle entraînerait une confusion dans les représentations quant au rôle de la Cour suprême. Enfin, se poserait le délicat problème de la dyarchie, qui introduit un risque de blocage institutionnel.

 

En revanche, une structure comprenant des personnalités extérieures aurait toute légitimité, tout en évitant le risque institutionnel évoqué. Mais il va aussi de soi que la structure actuelle du CSM n’est pas adaptée à une telle innovation ni aux compétences qu’elle requiert et aux responsabilités qu’elle implique. Seul un véritable Conseil supérieur de la justice, dont les membres seraient à la fois beaucoup plus nombreux, disponibles à plein temps et assistés d’une administration appropriée, présenterait les garanties et les compétences requises pour remplir une telle tâche. L’absence de moyens de l’actuel CSM ne doit donc pas être un argument pour défendre le statu quo. S’il est certain que l’autonomie financière exige des compétences nouvelles en matière budgétaire et financière, une structure renforcée, dotée des experts et des administrateurs dont elle aurait besoin, serait en mesure de les posséder. Rien ne s’oppose non plus à ce que le nouveau CSJ puisse, par convention avec le ministère de la justice, disposer des ressources de la chancellerie agissant sur sa délégation.

 

  • Mais FO-Magistrats insiste sur la nécessité de ne pas dissocier une réforme financière d’une autre réforme aussi urgente et nécessaire, sans laquelle elle ne serait d’aucune utilité concrète, concernant l’organisation judiciaire elle-même. FO-Magistrats milite pour une « déhiérarchisation » des cours d’appel, c’est-à-dire une refonte de l’organisation judiciaire mettant fin à la dépendance hiérarchique des magistrats des cours et tribunaux vis-à-vis des premiers présidents et procureurs généraux. L’unité opérationnelle budgétaire (UO) fonctionnelle doit devenir, à tous égards, la juridiction (ou un regroupements de juridictions) de première instance ou d’appel et il doit en aller de même sur le plan hiérarchique, les règles budgétaires étant ainsi calquées sur celles d’une nouvelle organisation judiciaire. Il conviendrait par conséquent de reprendre le principe des pôles CHORUS existant (sous réserve des améliorations à lui apporter) afin de regrouper la gestion des juridictions dans des périmètres cohérents en les dotant d’un organe d’administration qui serait le responsable de BOP, chaque juridiction ou groupe de juridictions (cour d’appel et tribunal) regroupés pour former des ensembles homogènes, formant une UO. Le président de cet organe d’administration, dont la configuration reste à définir, serait par conséquent responsable de BOP sous l’autorité du nouveau CSJ.

 

La réforme de la justice, besoin aujourd’hui impérieux, ne sera donc accomplie que lorsque la justice dans son ensemble, représentée par un vrai Conseil supérieur de la justice digne d’un pays moderne et démocratique, sera responsable de la gestion du corps, dans la transparence et le respect des principes de la République, lorsque le modèle militaire qui étouffe la magistrature aura disparu, que la justice judiciaire sera rendue à ses fonctions essentielles et que son indépendance ne sera plus conçue comme une menace mais comme une chance. La route est encore longue.

 

*

 

 

 

Annexe : Les dépenses de fonctionnement des juridictions

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LES DÉPENSES DE FONCTIONNEMENT DES JURIDICTIONS

 

Les dépenses de fonctionnement courant des juridictions représentent 4 % de la Mission Justice soit 354 millions d'euros au titre du PLF 2017. Les postes de dépenses les plus significatifs, et les plus controversés, sont ceux associés aux postes de travail qui ont baissé de 18 % depuis 2012. L'outil le plus essentiel au bon fonctionnement des juridictions, la documentation. a été le plus affecté par cette baisse. Il s'agit là d'une tendance générale traduisant, sous couvert d'une prétendue maîtrise des dépenses, la politique d'austérité à laquelle les juridictions n'échappent pas.

1 - Les enjeux de la cartographie budgétaire

En préambule il convient de rappeler l'actuelle cartographie budgétaire mise en place à compter du 1er janvier 2012. Jusqu'en 2011, chaque cour d'appel était dotée d'un budget opérationnel de programme (BOP) réunissant les ressources allouées aux juridictions du ressort. Aujourd'hui, les moyens des juridictions sont répartis entre 14 BOP interrégionaux (10 BOP métropolitains et 4 BOP ultramarins). Chaque cour d'appel regroupée au sein d'un BOP interrégional dispose d'un budget propre appelé Unité Opérationnelle (UO).

Vivement critiqué par l'Inspection générale des finances dans son dernier rapport de janvier 2017, et antérieurement par la Cour des comptes dans son rapport de février 2015, le découpage actuel ne correspond à aucune carte administrative et a négligé la localisation des services des comptables publics (contrôleurs budgétaires régionaux notamment). Ouvertement réclamé tant par la Cour des comptes, qui préconise depuis 2015 la réduction du nombre des cours d'appel, que par l'IGF qui y ajoute une redéfinition de leur ressort, une telle réforme est présentée comme la panacée à des situations locales inextricables. Selon FO-Magistrats, si une révision de la carte judiciaire est nécessaire, elle ne pourra pour autant être menée selon des critères qui demeureraient étrangers au bon fonctionnement de la justice. Il conviendra par conséquent de définir au préalable les missions de celle-ci, l’organisation judiciaire la mieux adaptée pour les remplir et repenser en dernier la carte judiciaire en fonction des objectifs fixés.

2 - L'échec de la gestion budgétaire déconcentrée

Au plan national, les crédits de paiement, après avoir constamment diminué de 2009 à 2012, ont progressé de 20 % depuis 2013 jusqu'à aujourd'hui mais dans le même temps, les BOP métropolitains ont vu leurs charges à payer (dépenses non réglées aux fournisseurs) doubler et celles des BOP ultramarins être multipliées par 1,5. Ce phénomène s'explique essentiellement par l'insuffisance chronique des crédits de fonctionnement dont souffrent à des degrés divers, la quasi-totalité des BOP.

 

Ainsi, entre 2012 et 2015, les crédits de fonctionnement alloués aux BOP métropolitains ont diminué de :

 

- 12,67 % pour le BOP Grand Est (NANCY)

- 9,38 % pour le BOP Grand Nord (DOUAI)

- 6,36 % pour le BOP Centre (DIJON)

- 5,69 % pour le BOP Sud (TOULOUSE)

- 5,27 % pour le BOP Grand Ouest (RENNES)

- 1,03 % pour le BOP Grand Sud Ouest (BORDEAUX)

- 0,04 % pour le BOP Sud Est (AIX)

Seul le BOP de Versailles a vu ses crédits de fonctionnement croître de 1,52 % dans cette même période. Les BOP de Paris et du Centre-Est constituent des cas à part, le premier en raison de l'impact de la construction du futur TGI de Paris, le second du fait de la croissance exponentielle de ses charges à payer.

Au vu de ce constat, les prévisions de l'IGF, dans son rapport de janvier 2017, d'un apurement de la situation des juridictions en 2019, semblent bien optimiste puisqu’elle part d'un double présupposé : celui de la stabilisation des dépenses de fonctionnement courant d'une part et du maintien des dotations initiales au niveau de 2017 d'autre part (354 M€).

La seule mise en place de ce mécanisme apparaît inadapté aux réalités du terrain puisque, à titre d'exemple, les charges à payer de l'UO de METZ ont été multipliées par 10 entre 2012 et 2015.

Les difficultés structurelles des BOP et des UO se répercutent directement sur les budgets de fonctionnement des juridictions du premier degré. Ainsi le TGI et le TI de Valenciennes ont vu leur budget de fonctionnement courant fondre de 103 647 € à 52 548 € entre 2012 et 2015. De même, le TGI et le TI de Limoges ont subi une baisse régulière de 5 à 8 % par an depuis 2013 de leur dotation, qui plafonne aujourd'hui à 950 000 € alors qu'une somme de 1,3 M€ serait nécessaire à une gestion saine de l'arrondissement.

La quasi-totalité des juridictions étant logées à la même enseigne, il convient de rester prudent lorsque l'on examine l'évolution de leurs dépenses. Celles-ci connaissent une diminution qui ne peut être imputée en totalité aux seuls efforts méritoires des chefs de juridiction mais aussi à la réduction plus ou moins drastique des budgets de fonctionnement. On relève ainsi, à titre d'exemples, la baisse sensible des dépenses de proximité enregistrée entre 2013 et 2015 par les TGI de :

- Perpignan : 90 383€ à 70 400€

- Montauban : 76 438€ à 58 711€

Au niveau local, les mesures d'économies réalisées sont le plus souvent une simple déclinaison, au sein de la juridiction, de celles décidées au niveau de la Cour. La proximité géographique avec la Cour (UO) ou le BOP n'est pas déterminante à cet égard, puisque les TGI d’Angers et de Vannes – pour ne retenir que ces deux cas – adoptent l'un et l'autre cette politique budgétaire.

Au-delà de la nécessaire coordination de l'utilisation des moyens, cet élément traduit un phénomène général qui est la perte quasi-totale d'autonomie budgétaire des juridictions du premier degré. Leurs seules marges de manœuvre consistent, le plus souvent, à accroître encore davantage les limitations de dépenses imposées par les BOP. Des mesures aussi diverses que l'impression recto verso des documents, la mutualisation des imprimantes ou des fax, la limitation des doubles envois de lettre de convocation, la réduction (et parfois même la suppression) du nombre de codes, sont mises en place. Mais le plus souvent, les économies supplémentaires ainsi réalisées ne donnent lieu à aucune contrepartie ou intéressement, à tel point que certaines juridictions s'interrogent sur l'intérêt de garder une gestion de leur budget. Ni la modestie des crédits alloués aux juridictions petites et moyennes, ni les économies réalisées par elles ne traduisent une gestion plus efficace que celle de leurs homologues de grande taille. Elles sont confrontées, en permanence, à des moyens sous-dimensionnés et aux exigences d'austérité supplémentaires imposées par les BOP.

Conclusion

Les règles de gestion budgétaire introduites par la LOLF n’ont pas entraîné d’amélioration significative dans le fonctionnement des juridictions, si ce n’est pour tailler dans les coûts de fonctionnement sans considération des missions et des besoins des juridictions. La confusion du budget des juridictions avec celui de l’ensemble du ministère de la justice montre ainsi que les règles budgétaires permettent de dissimuler la réalité d’une paupérisation croissante de la justice par un discours en trompe-l’oeil laissant croire à une progression de ses moyens.

La création d’une mission « Justice judiciaire » séparée des autres départements du ministère de la justice aurait l’avantage de constituer une « opération vérité » sur les comptes réels de la justice et de permettre de constituer le budget des juridictions non à partir d’impératifs ministériels globaux consistant à répartir la pénurie, mais des besoins réellement constatés. Cela supposerait bien entendu d’inverser la logique descendante actuelle – dans laquelle d’ailleurs, pour cette raison même, le dialogue de gestion n’est qu’une formalité sans contenu – en associant l’ensemble des magistrats dans l’élaboration des programmes budgétaires.

1 La question du statut est certes un autre débat, mais on ne peut manquer d’observer qu’il commence à être lui-même fragilisé par diverses politiques, comme celle de l’augmentation des recrutements parallèles ou la création des magistrats à titre temporaire et leur recrutement massif pour pallier les pénuries d’effectifs, dont le sous-statut préfigure ce qui attend les magistrats encore sous statut.

2 « La modernisation du ministère de la justice », Conseil de modernisation des politiques publiques, reproduite en annexe.

3 M. Migaud, actuel premier président de la Cour des comptes, est l’un des co-auteurs de la proposition de loi qui a abouti au vote de la LOLF en 2001.

4 « Les juridictions du XXIe siècle », rapport du groupe de travail présidé par M. Didier Marshall, p. 19.

5 Id. p. 21.

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