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Election présidentielle : les occasions manquées pour la justice serviront-elles de leçon ?

Flash info 04/05/2017

Election présidentielle : les occasions manquées pour la justice serviront-elles de leçon ? - Syndicat Unité Magistrats SNM FO

Ce n’est pas demain, à lire les programmes des candidats à l’élection présidentielle, que la justice se verra accorder son indépendance. La seule proposition concerne une réforme du CSM... qui reprendrait celle qui a été abandonnée au cours du quinquennat qui s’achève. Mais l’indépendance de la justice ne tient pas seulement à l’existence d’un avis conforme du CSM pour la nomination des membres du parquet et à l’absence d’instructions écrites du garde des sceaux. Les magistrats du siège comme du parquet qui œuvrent en juridiction ont tout loisir de voir la reprise en main autoritaire au sein des cours et des tribunaux. C’est quand ils sont personnellement confrontés à cet autoritarisme qu’ils mesurent alors la faiblesse, voire l’inexistence, des garanties réelles de leur statut.

 

Le problème majeur de l’indépendance n’est plus lié au risque d’ingérence directe du pouvoir exécutif dans le fonctionnement de la justice. Il vient en premier lieu de la soumission de toute l’institution judiciaire à des objectifs de performances avant tout quantitatifs, mesurés par les statistiques tenues par les chefs de cours. La « bâtonnite » qui sévit dans toutes les administrations – autour du mot d’ordre : « faire plus avec moins » – a frappé de plein fouet l’institution judiciaire.

 

L’obsession performative qui a saisi les hautes sphères de la hiérarchie judiciaire sert en réalité à masquer les performances en chute libre de la qualité du service de la justice et les injonctions contradictoires qui lui sont adressées. Toute la justice, qu’elle soit pénale ou civile, est soumise à un impératif doublement contradictoire : faire du sur-mesure de masse, avec des moyens archaïques et dépassés. Les magistrats, du siège comme du parquet, qui ne suivent pas les consignes avec assez de zèle ou refusent d'assumer les inconséquences du système sont rappelés à l'ordre et s'exposent à des sanctions disciplinaires. Le pouvoir hiérarchique des chefs de cour – dont on rappellera qu’ils sont parvenus à échapper à toute évaluation pour eux-mêmes dans la dernière loi organique – est en train de devenir un moyen de coercition privilégié pour faire entrer dans le rang les récalcitrants du productivisme et de l'obéissance judiciaires.

 

La deuxième forme d’atteinte à l’indépendance de la justice est plus sournoise, mais elle n'est pas moins efficace. Comme l’ont montré les lois pénales successives – loi « renseignement », loi « terrorisme », loi « sécurité publique », état d’urgence –, la méfiance envers l’institution judiciaire conduit à réduire inexorablement le périmètre de ses attributions et de ses compétences, soit au profit de l’administration et de son juge : le juge administratif, soit au détriment du siège en transférant ses pouvoirs au parquet, devenu le seul centre de gravité des juridictions sous un contrôle de plus en plus étroit. Mais les parquetiers n’en ont tiré aucun avantage, car ils sont aux premières loges du productivisme performatif et de la soumission hiérarchique.

 

Faut-il alors s’étonner des dysfonctionnements judiciaires qui – heureusement ou malheureusement – ne deviennent publics que lorsqu’ils concernent l’actualité la plus dramatique ? L’attentat des Champs-Élysées en est la triste illustration puisque la justice n’a pas pu prévenir un événement que tout annonçait : extrême dangerosité d’un individu multirécidiviste déjà condamné pour trois tentatives de meurtre, qui a annoncé son intention de passage à l’acte et qui relevait d’un régime de probation dont il faudra se demander un jour s'il est adapté à des profils de ce genre. Ceux qui voudraient rechercher des responsabilités individuelles devront d'abord s'interroger sur les carences structurelles et systémiques de la chaîne pénale. Parmi celles-ci, il faudra distinguer ce qui relève de l’exécution des peines – rappelons que la loi enjoint de faire de l’aménagement un droit en fonction de critères qui ignorent toute notion de dangerosité des individus – et des modalités d’enquête et de poursuites.

 

Ce tragique attentat montre notamment ce que ne cesse de dénoncer FO-Magistrats, à savoir le caractère inadéquat de la centralisation sur le parquet de Paris de toute la lutte antiterroriste. Cette concentration sur une quinzaine de magistrats (dont la valeur personnelle n’est pas en cause) et la toute-puissance de la DGSI (qui sélectionne elle-même les priorités de poursuites) ont abouti à faire passer « en dessous des radars » un attentat qui avait été annoncé par son auteur et dont seules la date et les modalités exactes demeuraient inconnues. Cette approche ignore deux choses. La première est que les menaces globales sont interconnectées et que l'efficacité commande de connaître les liens qu'elles entretiennent. La seconde est leur enracinement dans les bassins locaux de délinquance et de criminalité. C'est pourquoi FO-Magistrats ne cesse de demanderque la lutte antiterroriste soit décentralisée dans les JIRS, le parquet de Paris assurant une coordination nationale et ne conservant que les enquêtes internationales et les dossiers relevant de sa compétence territoriale.   

 

Si l’on veut une justice efficace, il faudra sans doute lui donner les moyens humains et matériels de faire face à ses missions, mais chacun sait que  ce n’est pas pour demain. Il faudra aussi et surtout lui accorder une indépendance conçue comme le gage donné aux citoyens que les magistrats et les juges peuvent accomplir leurs missions en fonction des attentes de la société, de ses besoins de protection et de sécurité et à l’abri de l’arbitraire, qu’il soit politique ou hiérarchique.

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