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Unité Magistrats FO

Déclaration d'intérêts : l'ère du soupçon

Carrière 27/02/2017

Déclaration d'intérêts : l'ère du soupçon - Syndicat Unité Magistrats SNM FO

COMMUNIQUE SUR LA DÉCLARATION D’INTÉRÊTS : L'ÈRE DU SOUPÇON

 

Le décret d’application de la loi organique du 8 août 2016 portant sur la déclaration d'intérêts va être prochainement publié. Cette réforme, à laquelle FO-Magistrats s’est opposé depuis le début, pose de nombreux problèmes, tant sur le principe qu’en pratique.

Des redondances déclaratives

Le régime de déclaration comprend tout d’abord des obligations inutiles, comme celle de devoir déclarer les périodes d'activité militaire - en ce qu'elles sont professionnelles -, que l’administration ne saurait ignorer par ailleurs. Il en est de même des activités d'enseignement qui devront être déclarées alors même qu'elles auront déjà reçu l’autorisation expresse du chef de cour.

Un dispositif de déclaration opaque et lacunaire

Beaucoup plus préoccupant est le fait que la définition du conflit d'intérêt par la loi organique ménage de larges zones d'ombres, qui rendent ces textes difficilement compréhensibles eu égard aux intentions affichées. L’opacité et le non-dit traduisent l’embarras du législateur mais ils placent les magistrats dans une situation d’insécurité juridique inquiétante.

Ne seront pas soumises à déclaration les appartenances ou activités exercées sans rattachement à une personne morale. Ainsi la participation à des réunions, dîners ou débats dans les groupes de discussions informelles autour des problématiques d'un secteur professionnel judiciaire ou extra judiciaire ou autre et qui se revendiquent comme tels ne relève d'aucune déclaration. Il en va de même de l'appartenance à des réseaux de fait, d’ordre politique, syndical, religieux ou philosophique. Le contraire aurait posé problème au regard des droits qui protègent les libertés de pensée, de conscience et de religion. L'appartenance à des réseaux d'entraides, de réflexion, d'études ou d'action liés à des religions ou à des réseaux philosophiques ou politiques est exclue de la déclaration – ce qui est heureux – mais n’est-ce pas ce qui est susceptible de constituer le cœur des conflits d'intérêts ?

Dans l’obscurité des textes, le risque est que le magistrat omette de déclarer ce qui lui paraît relever de sa liberté de conscience, mais puisse se le voir reprocher à tout moment de son exercice professionnel. Participer à un groupe défendant les intérêts de parents divorcés, assister à une manifestation religieuse ou politique, conseiller des organisations à but non lucratif, etc. pourront-ils provoquer des conflits d’intérêts ?

Une atteinte à la vie privée disproportionnée

Vient ensuite le droit au respect de la vie privée (article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme), qui risque d’être fort malmené par l'article 7-2, 6° de l’ordonnance du 22 décembre 1958 : « les activités professionnelles exercées à la date de l'installation par le conjoint, le partenaire lié à l'intéressé par un pacte civil de solidarité ou le concubin » seront soumis à déclaration. Ainsi les formulaires de déclaration d'intérêts et de déclaration de modification substantielle des intérêts détenus en annexes du projet de décret comportent une rubrique prévoyant d'indiquer l'employeur du conjoint, la description de son poste et tout autre commentaire utile.

S'il est vrai que ce formulaire n'impose pas de désigner le genre ou l'identité exacte du conjoint, celui-ci reste identifiable par le poste occupé dans la structure qui l'emploie (fonction unique, organigramme public, etc.). Ainsi, dans certains cas et par l'identification du poste occupé, les orientations sexuelles du déclarant seront facilement identifiables du fait de son obligation de déclaration et sans que celui-ci puisse s'y soustraire. De même, le déclarant en instance de divorce ou de séparation de corps qui vit en ménage avec un(e) concubin(e) devra non seulement déclarer son conjoint officiel mais encore son concubin, sous peine de tomber sous le coup d'une omission volontaire pénalement répréhensible. L'obligation de déclaration cumulative imposée par le texte impose ainsi une exposition précise de son mode de vie et de ses mœurs. On peut légitimement se demander si l'écart avec une norme socialement admissible pourra être considéré comme autant de manquements à la dignité, à la discrétion ou à la délicatesse.

Le magistrat écrivant sous pseudonyme, bien qu’il bénéficie du droit d’exercer librement tous travaux scientifiques, littéraires ou artistiques, devra-t-il divulguer ses travaux et son identité à son supérieur hiérarchique, puisqu’il s’agit à l’évidence d’activités « professionnelles » entrant dans le champ d’application de la nouvelle loi ? Celui qui aura fait le choix de garder l’anonymat pourra à tout moment être poursuivi, puisque la nouvelle prescription de trois ans en matière de poursuites disciplinaires ne commence à courir qu’à compter de la … révélation de la faute poursuivable.

Il ne faudra pas omettre en tout cas de déclarer une simple donation-partage de la nue propriété d'une SCI familiale, l'exercice d'une activité culturelle, sportive, cynégétique ou encore la participation bénévole à une association caritative...

Un droit au silence pénalement sanctionné pour les magistrats

Alors que la loi prévoit maintenant un droit général au silence et à ne pas témoigner contre soi, le seul silence sera pénalement sanctionné pour les magistrats puisque le fait de ne pas adresser sa déclaration d’intérêts ou d'omettre d’en déclarer une partie substantielle est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende, sans compter l'interdiction des droits civiques ni l'interdiction d'exercer une fonction publique. Tandis que le droit de ne pas témoigner contre soi-même est reconnu et protégé pour les délinquants et les criminels, ceux dont la mission est d’en garantir l'exercice aux autres en sont désormais privés pour eux-mêmes.

La question de la rétroactivité

La déclaration d'intérêts s'inscrit dans un contexte déontologique et peut entraîner des conséquences disciplinaires et pénales. L'entretien déontologique avec le chef de juridiction est susceptible de déboucher sur une procédure disciplinaire à raison de tout fait soumis à déclaration s'étant produit dans les cinq années précédant l'entrée en vigueur de l'obligation de déclaration. Pourtant l'article 8 de la Déclaration de 1789 dispose que « nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement » et l'article 2 du code civil prévoit que « la loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif », L'obligation de déclaration a non seulement un effet immédiat mais concerne la situation du magistrat dans les cinq années précédant sa déclaration.

On pourrait soutenir que la non rétroactivité est un principe qui ne s'applique qu'en matière pénale. C'est à nuancer. Comme le disait le ministre de la justice lui-même dans une réponse ministérielle (JO Sénat du 22/08/1991, p. 1781) : « Le principe de non-rétroactivité de la loi pénale affirmé, sur un plan général, par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ne concerne « pas seulement les peines appliquées par les juridictions répressives, mais s'étend nécessairement à toute sanction ayant le caractère d'une punition, même si le législateur a cru devoir laisser le soin de la prononcer à une autorité de nature non judiciaire » (décision n° 82-155 D.C. du 30 décembre 1982 et n° 87-237 D.C. du 30 décembre 1987). Donc le champ pénal mais aussi disciplinaire sont – théoriquement – protégés par l'art. 8 de la Déclaration de 1789. Mais en pratique ?

Conservation et consultation de la déclaration d'intérêt : une aberration géographique

La déclaration d'intérêts est consultable par le seul chef de juridiction (hors procédure disciplinaire). Par précaution, elle est donc réalisée en un unique exemplaire papier conservé au ministère à Paris et le chef de juridiction devra renseigner un bordereau d'émargement chaque fois qu'il voudra la consulter. Ceci signifie-t-il que l'intéressé devra, à chaque fois, se déplacer au ministère pour en prendre connaissance ? En l'état, oui, et sur frais de mission bien entendu…

Une loi des suspects

Si FO-Magistrats était et demeure opposé à la déclaration d’intérêts, c’est parce que, sous couvert d’une pseudo-transparence, celle-ci ne sert qu’à jeter le discrédit sur l’institution judiciaire dans son ensemble. Préalablement à l’exercice de ses fonctions et tout au long de sa carrière, il appartiendra désormais à chaque magistrat de démontrer son impartialité, voire même son intégrité, qui ne sont pas acquises par principe. Quant à l’imprécision des rubriques du formulaire de la déclaration d’intérêts, elle ouvre la voie à l’arbitraire de la hiérarchie et à une véritable caporalisation de la magistrature, bien dans l’air du temps.

 

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