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Unité Magistrats FO

Avant-projet de loi renforçant la lutte contre le terrorisme et la sécurité intérieure

Recherches, Travaux 15/06/2017

Avant-projet de loi renforçant la lutte contre le terrorisme et la sécurité intérieure  - Syndicat Unité Magistrats SNM FO

 

L’avant projet de loi révélé par la presse est inacceptable à deux titres :

 

  1. Tout d’abord, il se trompe de cible. Il restreint les libertés de l’ensemble des citoyens pour viser une infime minorité d’individus dangereux au lieu de cibler ces individus en protégeant les citoyens. Le risque manifeste est que cette orientation n’induise des politiques en termes d’ordre public qui échouent à atteindre leur objectif au détriment d’une population qui, non seulement n’est pas correctement protégée, mais se trouve suspecte par nature puisque les terroristes peuvent s’y dissimuler.

 

  1. Dans le détail des dispositions, l’état d’urgence est rendu permanent et ses dispositifs exceptionnels sont même renforcés et aggravés. L’état de droit est réduit à sa plus simple expression : celle qui permet de porter atteinte aux libertés dans un cadre légal. La seule limite à l’arbitraire est la bonne volonté du ministre de l’intérieur, puisqu’il dispose de pouvoirs exorbitants sans aucun contre-pouvoirs.

 

Les dispositions de cet avant-projet sont analysées ci-dessous, en fonction de la nature des atteintes aux libertés qu’il risque de provoquer.

 

  1. Les atteintes à la liberté de pensée, d’expression et de culte

 

L’article 2 introduit un nouvel article L. 227-1 dans le CSI qui permet aux préfets de fermer un lieu de culte « qui, par les propos qui y sont tenus, les idées ou théories qui y sont diffusées ou les activités qui s’y déroulent, provoquent à la discrimination, à la haine, à la violence, à la commission d’actes de terrorisme en France ou à l’étranger, ou font l’apologie de tels agissements ou actes ».

 

Par sa généralité et l’étendue de son champ d’application, cette disposition porte une atteinte potentielle à toute liberté de pensée, d’expression et de culte. Elle procède tout d’abord à un amalgame entre les propos tenus dans un lieu de culte – qui peuvent être ceux de simples fidèles recueillis, par exemple, par un média ou par un policier en surveillance – et le lieu de culte lui-même, qui engageraient les responsables de ce lieu de culte alors même qu’ils ne les partageraient pas. La facilité avec laquelle des propos tenus à titre privé, voire par des agents provocateurs, pourraient être rendus opposables au culte lui-même est telle que la protection de la liberté de culte en serait compromise.

 

Il existe une seconde forme d’amalgame possible, en raison de l’emploi du terme « discrimination ». Il suffirait, par exemple, qu’un ministre du culte – de quelque religion que ce soit- exhorte ses fidèles à ne pas pratiquer le mariage homosexuel pour des raisons qui tiennent à la doctrine de cette religion, pour être considéré comme provoquant à une discrimination envers le « mariage pour tous ». De même, si la GPA devait être légalisée, tout propos tenu dans un lieu de culte pour la condamner serait considérée comme une forme de discrimination.

 

La réserve inscrite en tête de l’article L. 227-1, qui autorise en théorie la fermeture d’un lieu de culte « aux fins de prévention des actes de terrorisme » n’est pas de nature à apporter des garanties suffisantes, dans la mesure où elle introduit une finalité beaucoup trop vague et subjective. Il n’est pas exigé, par exemple, que le préfet ait à justifier, dans sa décision motivée, d’un risque actuel et sérieux en lien avec des actes terroristes, ni qu’il soit tenu d’exposer en quoi ce qu’il estime être une « discrimination » serait de nature causer un trouble à l’ordre public ou une menace en termes de sécurité. Il doit être souligné en effet qu’il suffit de relever l’existence de « propos », d’ « idées » ou de « théories » qui « provoquent » à la discrimination, sans que ceux-ci n’incitent eux-mêmes à la haine, à la violence ou à la commission d’actes de terrorisme. Ainsi, des propos tenus, des idées ou des théories diffusées dans un contexte laissant penser à une « radicalisation » religieuse ou qui seraient simplement supposés pousser à la radicalisation, pourraient permettre de justifier la fermeture de lieux de culte.

 

L’article L.227-1 réprime donc explicitement le délit d’opinion et d’expression dans le cadre d’un lieu de culte, lui-même étant au demeurant un lieu privé réservé à un groupe de personnes partageant une foi religieuse commune. La fermeture du lieu de culte pourrait intervenir alors même qu’il n’y aurait aucun prosélytisme à l’extérieur, pour des motifs vagues de discrimination dans un contexte de radicalisation et alors qu’aucune menace de violences ou de trouble à l’ordre public ne serait avérée.

 

  1. Les entraves à la liberté de circulation

 

L’article L. 226-1 nouveau du CSI pose également des problèmes en termes de liberté d’aller et venir.

 

Les critères de mise en place d’un périmètre à circulation réglementée sont insuffisamment précis puisque le préfet peut définir un tel périmètre au vu des seuls éléments suivants :

 

  • une exposition particulière à un risque d’actes de terrorisme

  • la sécurisation d’un lieu ou d’un événement soumis à cette menace à raison de sa nature ou de l’ampleur de sa fréquentation

 

Si l’arrêté préfectoral doit être motivé et « limité aux lieux soumis à la menace, aux lieux avoisinants et à leur accès », rien n’indique cependant que les restrictions à la liberté d’aller et venir doivent être justifiées par l’existence d’une menace précise et actuelle, ni qu’elles soient justifiées par l’absence d’autres mesures possibles, ni enfin qu’elles soient proportionnelles à la fois à la menace et à la nature des lieux ou de l’événement à protéger. L’« exposition particulière » peut en effet résulter simplement de la disposition des lieux et non de l’existence d’une menace terroriste précise et attestée. En somme, ce texte permet de restreindre la liberté de circulation au nom d’un simple « principe de précaution » en dehors de toute menace avérée.

 

Ainsi, tout lieu ou tout événement peut répondre à la généralité de ces critères, la menace terroriste étant permanente. Les préfets peuvent donc invoquer cette menace pour restreindre la liberté de circulation dans un nombre de cas indéfinis.

 

Les lieux dont les périmètres peuvent être ainsi déterminés sont ensuite soumis à une réglementation dont l’article L.226-1 ne fournit aucun élément autre que la mise en place de contrôles physiques des personnes et matériels des véhicules. L’absence de toute précision apportée quant à la « réglementation » que peut édicter le préfet à l’intérieur de ces périmètres porte une atteinte démesurée au droit de libre circulation.

 

Enfin, s’agissant du contrôle des personnes à l’entrée dans les périmètres de protection réglementés, l’article L.227-1 autorise le recours à des agents de sécurité privée agissant dès lors avec les mêmes droits et pouvoirs que les agents de police judiciaire placés sous l’autorité des OPJ. Ces agents de sécurité privée auront ainsi le droit d’effectuer des palpations de sécurité et la fouille des bagages, de même que de procéder à la visite des véhicules, domicile privé des personnes. Le fait qu’une personne puisse refuser ces contrôles n’est pas en soi une protection, puisqu’il lui est alors interdit d’exercer son droit d’aller et venir dans le périmètre ainsi délimité.

 

  1. Les atteintes à la liberté individuelle

 

Le régime prévu par les articles L. 228-1 et suivants reprend pour l’essentiel celui de l’état d’urgence. On peut douter de l’utilité de ces mesures et de leur efficacité, voire de leur contre-productivité. Les services de police sont tenus de mobiliser des effectifs et des moyens importants pour mettre en œuvre ces mesures, dont l’impact apparaît très discutable. 14.000 personnes sont signalées comme « radicalisées » : il est évident qu’elles ne feront pas toutes l’objet d’assignation à résidence, d’autant que, de toute façon, ces mesures doivent être temporaires temporaires.

 

Il convient en outre de s’interroger sur le dispositif concret de ces assignations à résidence, notamment sur les points suivants :

 

  • Critères d’assignation à résidence : comment sera apprécié la notion de « soutien » ou d’ « adhésion » « à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme » ? Si le soutien peut correspondre à un acte public dont l’appréciation peut être objective (et sous cette double réserve), on reste perplexe face à la notion beaucoup plus vague d’adhésion, qui peut inclure des comportements passifs ou appréciés subjectivement. Dans les deux cas de toute façon il faut rapporter des faits à des convictions. Ainsi, le fait de tenir des propos outranciers dans un contexte particulier (rixe, état alcoolisé, provocation délibérée, etc.), pour répréhensibles qu’ils puissent être au regard du seul droit commun, ne risqueront-ils pas, dans un contexte de forte tension, d’enclencher des réactions sans rapport avec leur véritable portée ?

  • Placement sous bracelet électronique : quel sera le service gestionnaire ? Seule l’administration pénitentiaire est, semble-t-il, en capacité de le faire. Cela signifie-t-il que se prépare le passage de la DAP au ministère de l’intérieur ? Un tel changement est concevable, mais il va bien au-delà du seul problème posé par la gestion des bracelets électroniques.

  • Information du procureur de la République : à quoi cela sert-il, puisque l’assignation à résidence est entièrement sous le régime du droit administratif ?

  • Obligation de déclarer ses identifiants électroniques : cette disposition apparaît à la fois inutile et excessive. Un terroriste avéré n’aura cure de dissimuler ses identifiants, surtout si leur dévoilement risque de révéler des infractions dont la peine serait plus sévère que celle qu’il encourt à raison de son refus (3 ans, 45.000 €). En revanche, dans les cas douteux où « l’autorité administrative » (laquelle ?) estimera (selon quels critères ?) qu’une personne entre dans le champ d’application de l’article L. 228-1 qui autorise à assigner à résidence (et notamment qu’elle soutient ou adhère à des thèses incitant à commettre des actes terroristes), elle devra révéler ses identifiants et laisser l’administration accéder à des données protégées par le droit à la vie privée.

  • Autres mesures de restriction des libertés : l’article L. 228-4 permet au ministre de l’intérieur d’imposer des mesures restrictives de liberté à une personne alors même qu’il n’aurait pas de motifs suffisants pour l’assigner à résidence. Ces motifs étant eux-mêmes déjà très légers, le juge administratif sera moins exigeant envers la motivation de l’arrêté imposant ces mesures.

  • La sanction prévue en cas de soustraction (art. L. 228-6) : la soustraction pourra être poursuivie en procédure de comparution immédiate, alors même qu’aucune décision judiciaire n’aura statué sur la validité de l’arrêté ministériel. Certes, le tribunal correctionnel pourra alors apprécier lui-même la légalité de cet arrêté, mais cela montre l’inefficience du dispositif qui, du fait de la compétence donnée aux juridictions administratives, sera susceptible d’entraîner des divergences de jurisprudence.

 

  1. Les atteintes à la protection du domicile

 

Il est accordé un droit de perquisition administrative au préfet, en dehors de toute poursuite judiciaire, dans les mêmes cas que ceux qui permettent au ministre de l’intérieur de prendre des mesures d’assignation à résidence. Les mêmes risques juridiques sont donc encourus, en particulier d’interprétation très extensive de notions comme celles de soutien ou d’adhésion à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme. Suffira-t-il de consulter des sites djiihadistes pour s’exposer à une perquisition administrative ?

 

Cette disposition fait en outre peu de cas du principe de l’inviolabilité du domicile et de celui de la séparation des pouvoirs. Il est surprenant en effet que le préfet doive obtenir du procureur de la République une autorisation pour pratiquer une perquisition entre 21h00 et 6h00 et que l’autorité judiciaire désignée pour fournir cette autorisation soit le parquet et non un magistrat du siège.

 

Les mêmes réserves s’appliquent au droit d’accès aux données informatiques dans le cadre des perquisitions administratives, dans la mesure où ladite perquisition est effectuée en l’absence de toute infraction pénale a priori. Cette possibilité, permise dans le cadre de l’état d’urgence, pourra-t-elle être pérennisée alors que l’état d’urgence n’existera plus ? Comment sera appliqué le principe de proportionnalité ?

 

On ne peut ensuite qu’être surpris de voir attribuer au juge administratif la compétence du contentieux de la perquisition administrative, tout au moins quand elle aura été autorisée par un représentant de l’autorité judiciaire. Qu’en sera-t-il par ailleurs du conflit de compétence si une infraction est découverte et poursuivie en raison des éléments découverts lors de cette perquisition, entre le juge judiciaire et le juge administratif ?

 

Quel sera par ailleurs le régime de la « retenue » ordonnée par l’OPJ à l’encontre de la personne perquisitionnée, qui sera privée de liberté pendant 4 heures alors qu’aucune infraction ne lui est reprochée et sans que cette privation de liberté ne soit soumise à une autorité judiciaire indépendante, contrairement aux prescriptions de la CEDH ?

 

  1. Les atteintes à la vie privée

 

  • L’interception des communications empruntant exclusivement la voie hertzienne : le projet de loi prévoit des mesures destinées à remplacer les dispositions de l’article L. 811-5 du CSI introduites par la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, après leur annulation par le Conseil constitutionnel (décision n° 2016-590 QPC du 21 octobre 2016). Il s’agit du dispositif qui excluait de tout contrôle « la surveillance et le contrôle des transmissions empruntant la voie hertzienne » par les services de renseignement.

Le nouveau dispositif distingue désormais :

- « les communications électroniques empruntant exclusivement la voie hertzienne et n’impliquant pas l’intervention d’un opérateur de communications électroniques lorsque ce réseau est réservé à l’usage d’un groupe fermé d’utilisateurs ». Il s’agit, en clair, des réseaux émettant par radio sur la bande CB et des réseaux WLAN (type WIFI).

- « les communications électroniques empruntant exclusivement la voie hertzienne et n’impliquant pas l’intervention d’un opérateur de communications électroniques exploitant un réseau ouvert au public » Ces dispositions ne concernent – en principe – que la défense et la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation. Il semble que cela s’applique en pratique aux émissions transmises par satellite. Les services de renseignement sont autorisés de droit à procéder à leur interception et leur exploitation. Il n’existe pas de procédure d’autorisation pour ces interceptions, ce qui laisse penser que les motifs pour lesquels le Conseil constitutionnel avait annulé le régime antérieur demeurent opposables à ces nouvelles dispositions.

Dans les deux cas, la question qui pourrait se poser est aussi celle de la définition des termes de « communications empruntant exclusivement la voie hertzienne », dans la mesure où les communications passent toujours (ou presque toujours) par un ou plusieurs types de support matériel (réseau électrique, fibre, câbles, téléphone…), la voie hertzienne n’intervenant que sur une partie du parcours des communications.

- Le contrôle aux abords des gares : la liste des gares, ports et aéroports où peuvent être effectués des contrôles d’identité en tout temps s’étendra « aux abords » des gares.

Cette notion, d’ « abords », non définie, est d’une imprécision qui paraît de nature à entraîner une disproportion entre la mesure et le but visé.

 

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